Je devais écrire un texte sur le Festival des langues sales (FLS) 2020. Si je l’avais fait, je vous aurais parlé de la programmation dont le dévoilement était prévu le 12 mars. Du travail colossal des salariés, des bénévoles. Je vous aurais informé de l’ajout d’une journée à la programmation habituelle. De la création de nouveaux concepts de spectacles. De la réservation de nouvelles salles. De la mise à jour du système de billetterie. J’aurais glissé un mot aussi sur le rôle du Festival dans le développement culturel et socioéconomique régional. D’ailleurs, le Festival a été créé par le Carrefour Jeunesse Emploi d’Abitibi-Ouest pour dynamiser la région et y favoriser le retour des jeunes.

DU CONDITIONNEL CONTREFACTUEL

Si le festival avait eu lieu, ce sont 1700 festivaliers qui seraient attendus à La Sarre du 22 au 25 avril, soit le double des éditions précédentes. Ce sont des artistes renommés qui seraient venus se produire. C’est une quinzaine de commerces locaux qui auraient bénéficié des retombées économiques du festival. C’est une vingtaine d’artistes locaux qui seraient impliqués dans l’événement. Ils auraient été tout aussi nombreux en provenance de l’extérieur de la région. Bref, je n’aurais pas omis de mentionner les efforts déployés pour faire de cette 13e édition un événement mémorable. J’aurais fait tout cela pour vous donner une idée de l’énergie et de l’argent investis. Mais vous n’en saurez rien. Je ne ferai pas cet article sur le FLS. Le 19 mars, la responsable des communications a publié un communiqué pour annoncer le report du festival à avril 2021. Pourquoi faire un article sur un événement mort dans l’œuf? À la place de cet article, je vous parlerai du conditionnel contrefactuel. Oui, vous le connaissez. Vous en faites même usage. Le conditionnel contrefactuel désigne ces situations que nous envisageons possibles, mais qui restent non avérées.

Il n’est pas nécessaire de rappeler que notre vie tient à un souffle. En revanche, s’il était nécessaire d’illustrer la précarité dans laquelle cette crise plonge le milieu culturel, je pourrais prendre en exemple le FLS. Pour juguler la fragilisation des infrastructures culturelles, il nous faudra être solidaires. En soutenant les artistes, les artisans, les travailleurs autonomes. Il faudra faire vivre les petits commerces au lieu d’enrichir les multinationales. Je vous dis cela pour vous empêcher de recourir à ce conditionnel contrefactuel : « Si j’avais su, j’aurais fait quelque chose! » Dans ce cas-là, ce sera un regret inutile. Mais rassurez-vous, le conditionnel contrefactuel peut être aussi drôle. Exemple: « Si j’étais mort depuis plusieurs années (conditionnel contrefactuel qui a de bonnes chances de ne plus l’être avant la fin de ce siècle), mon traducteur […] aurait pu aboutir tout seul à l’une des conclusions suivantes […] ». Umberto Eco a écrit cette phrase dans son livre Confessions d’un jeune romancier (2013). Il avait 81 ans. Il est mort en 2016. Il en avait 84.


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