Lancé par André Lemelin, conteur originaire de Senneterre, le projet Les contes à relais a rassemblé 125 conteurs du Québec et de la France depuis le début du confinement. Le projet consiste à réunir chaque semaine une dizaine de conteurs autour d’un conte. Chacun en reçoit une partie et se filme en train de la raconter. Le montage des différentes contributions est ensuite partagé sur les réseaux sociaux. Plusieurs conteurs de l’Abitibi-Témiscamingue, tels que Pierre Labrèche et Marta Saenz de la Calzada, y ont pris part. Pour ces deux participants, ce projet permet aux conteurs de maintenir le lien avec le public. En effet, ce qui importe pour eux avant tout, c’est la rencontre avec l’auditoire, le partage. Ils peuvent ainsi retrouver un plaisir à conter et à inviter la population à voyager à travers les mots et l’imaginaire.
André Lemelin souligne que l’idée est vraiment née de l’isolement causé par le confinement, qui a suscité chez les conteurs un désir de se rassembler. M. Lemelin, qui travaille beaucoup dans les écoles primaires en lien avec le programme Artiste à l’école, a d’abord pensé le projet comme un outil pédagogique pour permettre aux élèves de découvrir des conteurs québécois et des contes venus de tous les continents. Le projet a aussi fait l’objet d’une collaboration avec le Festival de contes et légendes de l’Abitibi-Témiscamingue (FCLAT). Douze conteurs de la région se sont ainsi réunis pour raconter Les trois vérités, de Paul Stevens. Ils reprendront cette prestation en personne au mois d’octobre dans le cadre du FCLAT. Pour M. Lemelin, il allait de soi de travailler avec le Festival, qu’il considère comme un événement exceptionnel de la région et le fruit d’un travail immense.
L’initiative d’André Lemelin reflète la créativité dont beaucoup de personnes ont fait preuve pendant le confinement. Elle fait penser à ce que le philosophe Bergson appelle la fonction fabulatrice pour désigner la pratique langagière consistant à raconter des histoires pour transcender la réalité et appréhender le monde. Cette fonction est à l’origine de toutes les civilisations. Qu’on pense par exemple au mythe du Grand Nord québécois ou à celui de la fondation de Rome, à la légende du Rocher percé ou au mythe de la création! Notre vie quotidienne fournit des exemples très familiers de cette fonction fabulatrice.
Nous racontons notre journée de travail, d’école, notre voyage ou notre rencontre avec une nouvelle personne, etc. Même les enfants sont déterminés à être des homo fabulator, car ils se font raconter des histoires tout jeunes, ils y prennent goût. D’ailleurs, des études scientifiques ont démontré les effets positifs de la lecture d’histoires sur le développement des enfants. Ainsi, le projet Les contes à relais représente un rappel de la fonction de la fabulation dans le développement des êtres humains d’un point de vue anthropologique.