« Y a pas d’première classe dans un bus,
mais les bums s’assoient systématiquement en arrière. »
Alexandre Castonguay
C’est un projet particulier, ce récit offert aux éditions de Ta Mère. Déjà, la quatrième de couverture nous happe dans l’histoire au ton franc et dynamique de Castonguay : « Dans J’attends l’autobus, tu vas être un Français qui travaille la nuit au Couche-Tard du terminus d’autobus de Montréal pis, pour plein de raisons, il va naître une relation d’amitié entre nous deux. […] J’vais laisser dérouler ma pensée au travers des allers-retours Montréal-Rouyn que je fais pour ma job. Je suis travailleur autonome. Comédien. »
C’est un récit. Pas un roman, pas une nouvelle, pas un journal de bord. Les parties vont d’une ligne à plusieurs pages. Est-ce qu’on a là des fragments? Un long monologue? Un carnet de route? Tout cela à la fois. Alexandre Castonguay raconte des bouts de sa vie, et on a droit à des anecdotes du passé colonial qui se frottent aux discussions de dépanneurs ou aux souvenirs d’adolescence. Et tout cela, dans un équilibre surprenant et à la fois tellement évident. L’intime, l’universel, le près, le loin, l’entre-deux, le désir, la jeunesse, le travail, l’ennui, l’attente, les succès : ce récit englobe tout ce qui fait de nos vies de petits théâtres autonomes.
L’écriture embrasse la poésie de l’oralité, ce qui ajoute des allures de monologue. Car si le narrateur s’accoude au comptoir du commis du Couche-Tard de la station d’autobus à Montréal, on y est aussi. Avec eux. Notre liqueur dans une main et une revue dans l’autre, écoutant des propos qui nous plongent dans le quotidien d’un artiste, d’un étudiant étranger, de passants, de vous, de moi, de toute l’humanité, en fait.
« Arrange-toé… toi… avec c’que tu comprends. Le reste, laisse faire. Ressens-le au lieu de l’comprendre, c’que j’dis. Des fois j’parle pointu et d’autres fois, rond. Mes oreilles ont baigné dans tellement d’univers parlés différents qu’ma langue fait à sa tête. »
L’humanité, on la rencontre tout au long du texte. Dans les questionnements et les découvertes de l’adolescent, dans l’euphorie de la ville puis dans celle de la vie sur son territoire, le narrateur nous entraîne à sa suite dans les chemins de l’existence, en gardant toujours un clin d’œil au détour. La gravité de l’exigeante vie artistique est ponctuée de petits épisodes humoristiques : Castonguay a une façon bien à lui d’unir les univers.
« J’suis pas certain qu’le mot “art” existe en anishnabe. J’pense qu’la spiritualité – dans l’sens transcendance –, l’artisanat – faire un vêtement, un canot, des raquettes –, faire des motifs sur d’l’écorce de bouleau avec du poil d’orignal – genre petit point – sont englobés par un seul et même mot. Un mot total. Lequel, j’sais pas. Faudrait que j’vérifie. […]
Le terminus d’autobus de Rouyn est sur la rue du Terminus. Si l’terminus venait qu’à déménager, est-ce qu’il faudrait rebaptiser la rue? »
En lisant J’attends l’autobus, on est plongé dans notre région autant que dans tous les rubans de routes qui la relient au reste du territoire. Notre propre identité est motivée par celle de Castonguay, qui n’hésite pas à pointer les points faibles et les points forts de l’Abitibi, de l’Union des artistes (UDA), des arts vivants. Vivants comme nous, mais surtout comme lui. C’est dans et par l’expérience d’artiste de théâtre établi en région que Castonguay a tracé les contraintes de création de ce texte. Il voulait circonscrire ses expériences et nous les donner à lire. Savait-il qu’on les vivrait autant avec lui, grâce à son style direct et magistral à la fois?