En marge des nombreux débats qui font rage au sein de notre contexte culturel et socionumérique (conspirationnistes, vaccins, laïcité, liberté universitaire, etc.), on retrouve un phénomène qui, bien qu’il existe depuis longtemps, prend une ampleur considérable : l’anti-intellectualisme.

En effet, les médias à grand tirage (et leurs panels de chroniqueurs, trop souvent démesurément réactionnaires) se sont emparés des débats entourant les quelques regrettables événements qui ont mis en relief des failles dans la liberté universitaire. Je pense ici, bien entendu, à « l’affaire Lieutenant-Duval », entre autres. Évidemment, en tant que professeur d’université et en tant que chercheur, je ne peux que souligner une fois de plus l’importance capitale que revêt la liberté universitaire; elle est au cœur d’un établissement universitaire en santé, et à son tour, un établissement universitaire en santé est au cœur d’une démocratie en santé. Je suis donc entièrement en accord avec l’attention donnée aux dérives récentes entourant cette liberté sur certains campus.

Les événements tels que celui qui s’est déroulé à l’Université d’Ottawa l’automne passé, ou tels que ceux qui se sont déroulés à l’UQAM et relatés dans une série de chroniques d’Isabelle Hachey dans La Presse, ont mis en lumière le phénomène de la culture du bannissement, tout comme sa présence sur nos campus universitaires. Il n’en fallait pas moins pour qu’une poignée de chroniqueurs à tendance fortement réactionnaire tente de lier ce phénomène à une soi-disant « idéologie de gauche » qui gangrènerait nos campus et conditionnerait notre jeune génération. Qu’on ne me méprenne pas : je suis d’avis que la culture du bannissement est problématique et doit être abordée comme phénomène social. Mais je suis absolument contre les généralisations crasses qui pullulent dans certains médias.

La principale généralisation qui ressort de ces chroniques à répétition consiste à pointer le doigt vers le phénomène woke pour expliquer le problème. Décrivant à l’origine un individu préoccupé par les injustices sociales, raciales et sexuelles, le terme woke est depuis détourné, gracieuseté d’un contexte médiatique où l’opinion domine largement, au péril de l’information. Selon ce groupe de chroniqueurs, la culture woke serait une forme de radicalisation issue du féminisme et des études de genre. J’ai même pu lire des chroniques s’attaquant à la notion de genre elle-même, et à plusieurs autres concepts au cœur des sciences sociales et humaines. Selon eux, il faudrait abolir ces cursus d’études de nos universités. Ici, je considère qu’on nage en plein délire anti-intellectuel!

Comment peut-on renier le concept de genre et tout ce qu’il implique sur le plan culturel, social et linguistique? Dans la mesure où le genre est conçu comme une identité qui guide et détermine nos interactions sociales et sexuelles (je vulgarise ici, bien entendu), il se distingue du sexe qui, lui, se résume au fait biologique d’être né avec un sexe mâle ou femelle. Il est d’une absurdité sans précédent que de croire que nos identités sociales, culturelles et sexuelles sont liées à notre sexe biologique. Le fait de choisir des vêtements masculins ou féminins, de peindre la chambre du nouveau-né bleu ou rose, d’accorder nos qualificatifs au féminin ou au masculin; tous ces comportements n’ont absolument rien de biologique. On ne les retrouve pas dans la nature. Ils sont le produit d’un système de signification qui nous permet de nous situer dans une société et dans une culture en fonction d’identités que nous revendiquons. Depuis plusieurs décennies, des chercheurs de partout dans le monde tentent de mieux comprendre ces phénomènes symboliques, nous permettant ainsi de mieux comprendre les facteurs psychodynamiques qui nous déterminent dans notre environnement. De les renier, et de décrire des concepts théoriques largement acceptés comme des hérésies, témoigne d’un anti-intellectualisme duquel il faut absolument se méfier.

Certains chroniqueurs réactionnaires souhaiteraient voir disparaître des champs d’études complets de notre paysage universitaire, sous prétexte que ce sont des disciplines idéologiques se rattachant à une soi-disant « gauche radicale ». Le problème, ici, c’est que l’université est et sera toujours une institution progressiste. Ce progressisme n’est ni à gauche ni à droite; c’est un progressisme qui se résume simplement dans la mission même de l’université : développer, faire avancer et transmettre le savoir. Il faut croire que ce progressisme irrite certains réactionnaires qui semblent eux-mêmes plutôt radicaux : pour défendre la liberté universitaire, ils s’attaquent à… la liberté universitaire!


Auteur/trice