CAMILLE CORBEIL
L’artiste multidisciplinaire Gabrielle Demers prend un nouveau tournant cet automne. Effectivement, elle qui tangue à travers l’écriture, la performance et la création depuis quelques années, c’est sous son masque de dramaturge que nous pourrons cette fois la redécouvrir. Sa toute première pièce, Courir la gueuse, fait officiellement partie de la programmation de la troisième édition du festival Jamais Lu Mobile. Malgré un sentiment d’imposture face à ce défi, Gabrielle Demers réitère son amour pour le théâtre et pour la connexion directe qu’elle réussit à créer avec le public.

INSPIRATION
Gabrielle reste fidèle à ses thématiques, qui sont partie prenante de notre actualité. Dans cette pièce, on retrouve un féminisme poignant ainsi que l’instabilité d’une radicalisation patriarcale mal placée. Dans ce portrait d’une société qui se divise, elle offre une lecture très nuancée et très crue de cette vague de mâles alpha et des remous sans précédent qui nous touchent toutes et tous. Mère de deux jeunes filles qui grandissent dans cette nouvelle société, elle s’est inspirée de sa peur et de son impuissance face à cette montée qui semble à la fois absurde et bien concrète. Elle s’est immergée dans ce monde inconnu d’elle à travers des documentaires, des sondages auprès de cégépiens et de faux comptes TikTok pour leurrer l’algorithme. Les phrases les plus perturbantes sont directement tirées du microcosme dans lequel évoluent ces extrémistes masculinistes. Le portrait du soi-disant mâle alpha est donc très réaliste, ce qui est, pour finir, très effrayant. Elle espère qu’en écoutant sa pièce, les femmes et les hommes se comprendront mieux et qu’ensemble, ils viendront peut-être à bout de cette inhumanité.
ÂMES SENSIBLES S’ABSTENIR
Courir la gueuse est une pièce pleine de sens, mais qui comporte son lot de sujets sensibles et de tabous. Elle commence par un avertissement, qui en donne le ton : « Traumavertissement : ce texte contient des sujets radicaux, tels que les agressions sexuelles, la mégalomanie, l’espoir en un avenir meilleur. » L’écrivaine s’aventure avec brio sur ces terrains glissants. Elle transcrit avec justesse le vécu des victimes sans sombrer dans l’extrémisme. Elle dépeint de manière sensible la contradiction et l’absurdité de vouloir la paix tout en devant crier pour se faire entendre. C’est un déchirement du cœur qui semble nécessaire pour atteindre un monde de respect et de communauté.
UN FESTIVAL TROP PEU CONNU
Le festival Jamais Lu Mobile donne la scène à quatre artisanes et artisans du théâtre à travers le Québec. Quatre régions sont visées et, cette année, c’est notre douce et rebelle Rouyn-Noranda qui en sera l’hôte. Ce festival a été dirigé pendant 24 ans par Marcelle Dubois. C’est maintenant Éric Noël qui en prendra les rênes. L’équipe est convaincue qu’il saura préserver les racines du festival tout en faisant grandir ce bijou culturel à sa façon. Ce n’est que la troisième édition de la version mobile de l’événement, et nous avons hâte de découvrir la couleur que prendra cette célébration du théâtre d’ici. C’est du 18 au 20 septembre que nous pourrons assister à la représentation de la pièce Courir la gueuse de Gabrielle Demers, en plus des trois autres œuvres : Peluches de Keven Girard (Saguenay), Aussi loin que possible de Philippe Garon (Gaspésie) et Tressées serrées de Jasmine Dubé, Élie Marchand et Phara Thibault (Estrie). Les billets sont déjà en vente à l’Agora des arts de Rouyn-Noranda.