LISE MILLETTE
J’ai souvenir d’un été où, installée dans une chaise longue, je me reposais sous les arbres en laissant passer les heures.
Les rayons du soleil plombaient et certaines personnes optaient pour une sieste en après-midi, avec les couleurs éclatantes des maisons, les fresques immenses et vives sur les murs ainsi que les montagnes en arrière-plan.
Au loin, on entendait des enfants parler dans une langue qui n’est pas d’ici. Puis, une femme s’est avancée, portant sur sa tête un immense panier rempli de citrons verts. Le dépaysement était complet à San Juan La Laguna. La dame a posé le panier à l’arrière d’un camion qui accusait le passage des années, de même que les routes aussi ridées de crevasses que son visage. Elle a fait au moins une dizaine d’allers-retours, puis la cargaison s’en est allée vers le marché de Chichicastenango, à une soixantaine de kilomètres de là. Les recettes reviendraient avec le conducteur à la tombée de la nuit.
Le marché de Chichicastenango, ou Chichi, n’a plus besoin de faire de publicité. C’est un lieu prisé des touristes comme des locaux; c’est le plus grand marché de l’Amérique centrale. On y trouve de tout : des produits frais, des fruits de toutes les tailles, des poteries, des tissus, des vêtements, et même des habitants avec leurs habits traditionnels. La foule y est animée et dense.
Je ne sais pas si la dame aux citrons verts s’y rendait plus jeune ni si elle s’ennuyait de ce tumulte. Je ne sais pas non plus ce que c’est exactement que de se frotter à la foule, dans un tel capharnaüm de discussions animées. Je peux néanmoins me l’imaginer, en regardant devant moi, alors que je prends une gorgée de limonade et que je replace le dossier de ma chaise longue, avant de déposer le livre sur la table. Je foulerai peut-être un jour la terre de San Juan Laguna.
Ainsi mes étés, mes hivers, mes soirées comme mes après-midis ont été parfois ponctués d’images et de décors qui n’avaient absolument rien à voir avec le lieu où j’étais. La lecture a été mon premier passeport. Des voyages sans photos ni pellicules, et pourtant ponctués d’images, de sons et d’odeurs.
Il y a, dans le plaisir de lire, les plus grandes évasions, à petit prix. Moi qui n’ai jamais quitté le continent, j’ai tout de même en tête des voies étroites, des moulins de Hollande, des champs de tulipes, des canaux sinueux, de petites localités, des rues escarpées, des îles grecques avec vue sur mer et des mangroves dont les troncs ressemblent à des doigts agrippés dans le sol.
Un imaginaire, ça se nourrit, ça s’entretient, ça se cultive. Des autrices et auteurs ont ce talent de rendre dans leurs mots des descriptions si fidèles qu’on peut voir défiler l’histoire comme au cinéma et ressentir la proximité de ces images qui, ancrées dans l’inconscient, deviennent des souvenirs. C’est comme si on y était, comme si, cet après-midi-là à San Juan La Laguna, pour quelques quetzals, j’étais repartie avec des citrons verts.
La lecture est une évasion par procuration. Pas d’albums photos, mais tant d’images. Pas de souvenirs perchés sur une tablette ou dans une armoire bien en vue, et pourtant des bribes qui m’habitent encore, alors que je suis marquée par des histoires parfois plus frappantes que le réel.
Pas de décalage horaire… que des décalages de libraires, toujours à l’affût de nouveautés.
Ce qui est bien aussi avec un livre, c’est qu’on peut en prime partager le voyage par simple prêt ou don de l’exemplaire. Sans compter qu’on peut ensuite l’échanger contre un autre ou y replonger éventuellement, sans frais cachés, pour le simple plaisir de s’arrêter.
Le Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue se tient à la fin du mois, ce sera une occasion d’y dénicher de nouvelles pistes d’évasion, des embarquements pour plus tard…