Quand Gisèle, 5 ans, voit son enseignante mélanger du jaune et du bleu pour en faire du vert, la démonstration l’époustoufle. « Pour moi, elle faisait de la magie! Tout à coup, ça devenait vert! J’avais assez hâte de le dire à ma mère. Ça m’a marquée. » Il n’en faut pas plus pour que sa fibre artistique s’allume.
Près de 90 ans plus tard, la fibre brûle toujours. Ce feu est tellement présent que, quand Gisèle décrit comment elle crée d’un seul geste avec fluidité, ses yeux brillent de cette lueur que seules les personnes passionnées partagent.
C’est un parcours singulier qui la mène vers l’artiste multidisciplinaire qu’elle est, mêlant dessin, peinture et estampe à l’art numérique et au multimédia.
FAIRE CE QU’ON AIME
Née au Témiscamingue, élevée à Rouyn-Noranda, Gisèle Cotnoir Lussier est une artiste pionnière de la région. Dès un jeune âge, elle se distingue de sa famille de musiciens avec son goût affirmé pour les arts visuels, les couleurs, les textures.
Pour satisfaire ses élans créatifs, Gisèle baigne pendant un moment dans l’univers de la couture et du dessin de patron ainsi que celui du design d’intérieur. Les occasions dans ces domaines étant restreintes en Abitibi-Témiscamingue, la jeune femme décide alors de suivre des cours par correspondance de confection de chapeaux, formation qu’elle réussit avec brio. Toutefois, la nouvelle chapelière se rend compte qu’elle ne peut toujours pas laisser libre cours à sa créativité.
« Je devais satisfaire aux attentes de mes clientes et ça bloquait ma créativité. Avec une de mes clientes, je l’appelais ma madame Beige, on n’en sortait pas du beige avec elle! J’essayais de mettre un peu de couleur dans son agencement, mais il n’y avait rien à faire, raconte Gisèle en riant. À un moment donné, j’ai décidé que c’était assez et j’ai tout fermé ça. Je me suis dit qu’un jour, j’allais faire quelque chose que j’aime vraiment. »
LE SON DU FUSAIN
Quelques années s’écoulent ensuite, un mariage et quatre naissances remplissent la vie de la jeune femme, jusqu’à ce qu’elle décide de s’inscrire à des cours d’arts avec sa mère qui ressent le besoin de se changer les idées après la mort de son mari. Dans la salle qui accueille les dames de la Guilde d’art et d’artisanat de Noranda, Gisèle se sent tout de suite à l’aise au son du fusain, dans un moment loin des tracas de la vie de famille. Les femmes anglophones qui ont fondé la Guilde ont d’ailleurs joué un grand rôle dans l’évolution des arts dans la région et dans la grande concentration d’artistes en art visuel qu’on y retrouve aujourd’hui.
En devenant membre de la Guilde en 1964, un nouveau réseau s’ouvre pour Gisèle, lui laissant entrevoir ce fameux « quelque chose qu’elle aime vraiment ».
L’ÉCLOSION DE L’ARTISTE
Une rencontre déterminante favorise l’éclosion de l’artiste et fait de Gisèle Cotnoir Lussier cette peintre et graveure remarquable. L’artiste britannique Nan Rowley, qui enseigne les arts visuels, accepte de donner des cours particuliers à la jeune femme qui a soif d’apprendre. À raison d’une fois par semaine pendant trois heures, Gisèle apprend à maîtriser toutes les techniques et les matériaux durant les trois années suivantes.
« Elle me trouvait trop minutieuse, que je ne m’exprimais pas assez. Elle était très sévère, très exigeante. C’était donc très important pour moi, ma leçon chaque semaine. (..) Je commençais avec une technique puis je ne pouvais pas lâcher la technique tant que je ne l’avais pas parfaitement maîtrisée. »
DE MILAN À NEW YORK
En 1973, Gisèle devient Gizella sur le certificat de mention d’honneur octroyé par la 2e exposition internationale Il Pavone D’Oro de Milan, en Italie. Elle remporte également le 10e prix et la Coupe d’argent. Son œuvre, soumise par sa sœur qui vit en Italie, est choisie parmi 1143 autres peintures provenant de 18 pays. L’année suivante, elle reçoit une invitation de la Galerie internationale de New York qui veut exposer cette œuvre. Gisèle Cotnoir Lussier fait donc son entrée rue Madison. Elle est artiste membre de la galerie de 1977 à 1980.
En 1997, avec le concours de sa sœur encore une fois, la Galleria d’Arte Mele de Milan accueille une exposition complète de l’artiste témiscabitibienne, intitulée Quebec Arte. On retrouve ses œuvres également dans plusieurs expositions collectives internationales, notamment Deux/Dos en 2004, présenté simultanément à Rouyn-Noranda et au Mexique, ainsi que Strangers présenté en Nouvelle-Zélande en 2006.
Gisèle est particulièrement fière de l’exposition Manière noire/Mezzotinto, présentée en 2008 à la Fontaine des arts. À titre de commissaire et de présidente de l’Atelier Les Mille Feuilles (qu’elle cofonde en 1982), elle réussit l’exploit de réunir les œuvres de 43 artistes de l’estampe, provenant d’Australie, de la Belgique, du Luxembourg, de la Suisse, de l’Écosse, du Danemark, des États-Unis et du Canada. C’était tout un défi de convaincre certains de ces artistes d’envoyer leurs précieuses œuvres à Rouyn-Noranda.
LA COULEUR DE MES PENSÉES
Avec son exposition rétrospective, La couleur de mes pensées, présentée cet été à la Galerie Au 123, il a été possible de se rendre compte de l’étendue et de la profondeur de l’œuvre de Gisèle Cotnoir Lussier.
« Je me dis, qu’est-ce qui vibre autour de ça, pourquoi je suis attirée par quelque chose? » Une recherche constante de l’intangible caché derrière le concret. Voilà ce qui guide sa démarche artistique depuis près de 60 ans.
« La couleur de mes pensées est pour moi le rayon de soleil qui intervient quand la nature a besoin de lumière. Elle est le spectre lumineux de mes états d’âme. Elle se fusionne avec le réel et l’imaginaire sans dévoiler le rapport secret qui les unit tout en donnant un regard nouveau à l’image qu’elle m’inspire. La couleur de mes pensées me fait donc découvrir l’extraordinaire qui se cache derrière l’ordinaire. »