Dans son plus récent recueil de poésie, Vaste ciel suivi de Des eskers de beauté, publié en novembre dernier aux Éditions du Quartz, Michel X Côté emprunte des chemins de paroles à travers des lieux physiques et intimes – traversés d’un même pas. Dans ces poèmes – courts, dépouillés, ouverts au grand ciel du Nord –, l’enfance, le rapport au monde, aux lieux que nous habitons/qui nous habitent et à la poésie se mêlent à l’eau, à la forêt, aux rochers, de même qu’au territoire abitibien.
« JE COURS LES FORÊTS/JE N’ATTENDS PAS DE L’INSOMNIE/QU’ELLE DRESSE MES CHIENS »
Ce n’est pas la première fois que le poète et parolier originaire de Rouyn-Noranda écrit sur l’Abitibi. Toutefois, dans Vaste ciel – Des eskers de beauté, son dixième recueil publié depuis le début des années 2000, la région y est omniprésente, le paysage des poèmes, qui évoquent Rouyn-Noranda, la mine, la fonderie, entre autres, sans oublier ces fameux eskers du titre qui façonnent à leur manière particulière le territoire, et l’imaginaire de plusieurs.
Mais, comme les textes eux-mêmes, ce paysage s’est imposé à Michel X Côté selon une démarche bien à lui. En entrevue, questionné sur le projet derrière son recueil, le poète insiste d’entrée de jeu sur le caractère non prémédité de son écriture : « Y’a pas une décision qui est prise avant que ce soit écrit que je vais faire Vaste ciel et puis Des eskers de beauté, parce que ma façon d’écrire est très quotidienne… » Pas d’attente que se présente une grande idée, assis à sa table de travail, donc. C’est par la marche, au gré de ses balades quotidiennes en forêt, que les poèmes arrivent, qu’il couche sur papier une fois de retour chez lui (il en publie par ailleurs pratiquement chaque jour sur son compte Twitter, qui lui sert en quelque sorte de carnet). Cela, avec les dessins, qui accompagnent son écriture. Huit de sa main figurent par ailleurs au cœur du livre, ponctués eux aussi de poèmes, qui marquent le pas entre Vaste ciel – Des eskers de beauté, sortes de petits ponceaux entre les deux parties.
C’est donc spontanément, en laissant venir les poèmes, que l’Abitibi s’est invitée dans ceux qui composent ce recueil. En entrevue toujours, il confie : « J’ai toujours pensé que l’Abitibi était en moi, que j’avais pas besoin de faire d’effort pour écrire sur l’Abitibi […] C’était pas un retour, c’était pas un hommage à, ça s’imposait, le paysage s’imposait, la matière – autant les arbres, les rochers, les rivières –, ça s’imposait de soi-même. » Plus tard, il renchérit : « J’ai laissé le paysage parler, j’ai laissé le territoire parler. » Ainsi, à la manière de ses poèmes, Michel X Côté « cour[t] les forêts », sans attendre de l’inspiration qu’elle frappe à sa porte.
UNE POÉSIE EN MOUVEMENT
Mais avec pareille façon de fabriquer des poèmes, pas étonnant que le mouvement traverse les pages de Vaste ciel/Des eskers de beauté de bord en bord, où il paraît être la seule loi qui régisse la poésie, ou bien encore, sa principale exigence. Ici, la poésie ne supporte pas les lieux clos, les enfermements : « sur la table/il y a/les outils du poème//le poème lui/est parti/jouer dehors. » Et si la poésie est mouvement, elle nous y confronte aussi, inévitablement : « n’attends pas de la poésie/qu’elle soit un abri//elle sera la première/à te jeter dehors. ».
Mais, comme les eaux d’une rivière toujours s’écoulent sans pour autant qu’elle-même ne s’épuise, ou qu’elle ne change sa trajectoire, ce mouvement demeure résolument ancré, dans les poèmes de Vaste ciel/Des eskers de beauté, dans un présent qui sans cesse se renouvelle, se réactualise. La vie et le territoire ne se présentent pas dans ces poèmes comme un passé qu’on raconte, mais comme une espèce d’état de fait, comme quelque chose qui nous dit « voilà ».
Comme cette enfance du poète à Rouyn-Noranda, évoquée dès le prologue du recueil,alors qu’il écrit que « quand tu pars de Rouyn-Noranda/tu ne quittes rien/tu n’arrives nulle part/tu restes d’où tu es ». Enfance qui n’est pas, selon Michel X Côté, « […] la vieille enfance de v’là soixante-dix ans », mais « […] une enfance très actuelle, et elle s’actualisait en même temps que le fameux territoire abitibien qui ne [l]e lâchait pas… » En parlant de la création de ces poèmes, il ajoute : « J’ai vu que le temps se télescopait. C’est comme si j’avais toujours été de la même matière […] Le rocher où je suis né, je suis fait de ça. Comme un rocher, c’est comme si j’étais arrivé complet, ou encore comme si on me complétait actuellement, d’un seul coup. Il n’y a pas d’histoire, il y a une réalité, pis elle est dans ces poèmes-là. »
Ce temps télescopé, c’est aussi celui du territoire, où il apparaît dans Vaste ciel – Des eskers de beauté tel qu’il est, grandiose, mais sans fard, alors que « les aurores boréales chantent/sur les hauteurs/des résidus de la mine », en même temps qu’il nous semble, avec ses rochers et ses eskers, encore si près de ses origines, lorsque Michel X Côté écrit : « je ne tombe pas du passé/sur ma table de travail/le retrait des glaces/ne cesse d’avoir lieu. » En écho à ces vers d’une sobriété désarmante, à cette image puissante, presque vertigineuse pour dire ce sentiment du temps rassemblé, le poète ajoute ces quelques mots au bout du fil : « En Abitibi, on a toujours l’impression de marcher à peine quelques heures après la fixation de la croûte terrestre. Moi j’ai toujours cette impression-là chaque fois que j’y vais, peu importe que ça devienne moderne et tout ça, je suis à la création du monde quand je suis là. »
En somme, Michel X Côté nous met entre les mains un livre qui ouvre une multitude de chemins à emprunter pour réfléchir aux lieux que nous habitons, qui nous habitent, et à les appréhender avec humilité. Petit conseil : lisez-le, sortez marcher au grand froid (c’est la saison), et revenez-y. Il y en aura encore et encore.