Rupture d’obstétrique de plus de six mois à l’hôpital de Ville-Marie, diminution des heures d’ouverture de l’urgence de Senneterre, réduction des interventions chirurgicales à Val-d’Or, Amos et Rouyn-Noranda : toute la région a subi, dans les derniers mois, l’impact des coupures dans le système de santé, attribuables entre autres à la pénurie de personnel infirmier. À La Sarre, en Abitibi-Ouest, le plan de contingence présenté par le Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue (CISSSAT) en octobre s’est traduit par la fermeture de 22 lits sur les 44 disponibles, dont les 2 derniers du service de pédiatrie. Partageant un sentiment d’urgence et d’incompréhension devant l’ampleur des mesures adoptées, 300 personnes ont manifesté dans les rues de la ville le 17 octobre dernier. Dans la foulée, le comité Veille citoyenne Abitibi-Ouest s’est mis en action pour instaurer des solutions rapides, concrètes et durables.

UNE APPROCHE COLLABORATIVE

D’abord porté par une volonté de dénonciation et de revendication, le comité a modifié son approche après une rencontre multipartite en présence de membres de la direction du CISSSAT, qui ont expliqué les décisions prises : « On voulait essayer de comprendre, parce que de l’incompréhension venait la colère. Par exemple, les coupures de lit étaient plus importantes en Abitibi-Ouest qu’ailleurs, mais il manque deux fois plus de personnel ici, ce qui exigeait des mesures drastiques. Le CISSSAT travaille dans un contexte de pénurie et de crise. Ils y vont avec les solutions les moins pires, mais quand on a réalisé qu’ils étaient aussi inquiets que nous, ça a changé le fond de la discussion », exprime Sylvain Trudel, membre du comité. Alexis Lapierre, aussi membre du comité, abonde dans le même sens : « On a senti que le CISSSAT était honnête, alors la voie d’action qu’on a choisie, c’est d’être proactif, de collaborer. » Ainsi, en partenariat avec divers acteurs du territoire, dont la Ville de La Sarre, la MRC d’Abitibi-Ouest ou le Carrefour Jeunesse emploi d’Abitibi-Ouest, le comité Veille citoyenne, qui réunit sept citoyens de tous horizons, a lancé l’opération Grande séduction.

Par cette opération, le comité souhaite profiter de la crise actuelle pour modifier de façon durable le recrutement médical en Abitibi-Ouest. Cela implique, entre autres, la mise en place de programmes de formation sur son territoire et d’incitatifs financiers. Déjà, à l’hiver 2022, le Centre de formation professionnelle Lac-Abitibi accueillera une première cohorte d’étudiantes et étudiants en santé, assistance et soins infirmiers. Avec plusieurs partenaires, le comité travaille également au déploiement d’une technique collégiale en soins infirmiers offerte à La Sarre dès août 2022. Le nombre minimal d’inscriptions requis pour ce faire est déjà atteint et le recrutement de professeurs va bon train, selon MM. Trudel et Lapierre.

Au-delà de la formation du personnel, le comité est conscient que les enjeux sont multiples et enchevêtrés les uns dans les autres. Ainsi, la formation et la rétention du personnel impliquent aussi une amélioration de l’accès au logement, des places disponibles en garderie, de l’offre en éducation et de l’attractivité globale du territoire. Le plan d’action établi par le comité inclut donc des initiatives et des objectifs variés. « Ça rend les choses compliquées, mais ça fait en sorte qu’on ne peut pas travailler en silo. Il faut que tous les acteurs soient présents », soutient Alexis Lapierre. M. Trudel insiste d’ailleurs sur la qualité de la collaboration avec les partenaires du milieu : « Tous ceux qu’on a approchés sont très collaborateurs. La beauté d’avoir mangé un coup de pelle en pleine face c’est qu’on n’a pas besoin d’un grand dessin. Tout le monde comprend que c’est extrêmement grave et dangereux, ce qui se passe là. On n’est pas dans le stade de tergiverser, on doit passer à l’action. »

Le comité lancera également le 25 janvier une campagne de sociofinancement dans le but d’amasser 500 000 $. Cet argent vise à complémenter l’apport des autres partenaires et à améliorer l’attractivité de l’opération : « Quand il y a une crise à l’échelle provinciale, les extrémités souffrent plus que le centre. On a les désavantages de la distance, de la masse critique, on n’a pas le choix d’en faire plus que les autres. On n’a pas de centre de gravité comme Amos, Rouyn et Val-d’Or, donc si on fait la même chose que les autres, on n’aura pas les mêmes résultats. On a des efforts de plus à faire. »

UN ANCRAGE DANS LA COMMUNAUTÉ

Malgré les défis imposés par la réalité régionale, les avantages de la vie en Abitibi-Ouest sont indéniables et justifient amplement, selon Sylvain Trudel, les luttes citoyennes à mener. Outre les grands espaces et la quiétude définissant sa région, M. Trudel souligne le caractère chaleureux des habitants et la proximité qui les unit. « À cause de la taille de la communauté, c’est beaucoup plus facile de faire des contacts, de créer des liens. Au niveau de l’engagement communautaire, ça se traduit par une force de mobilisation, un sentiment d’urgence commun. »

Cet amour du territoire et de sa communauté, ainsi que la proximité entre les membres semblent faire la force du comité citoyen, qui devient alors non seulement un levier d’action, mais également un espace intergénérationnel d’échange et de travail commun, selon Alexis Lapierre. « On vient de milieux variés. À chaque rencontre, quelqu’un arrive avec une information nouvelle, un angle différent. Il n’y a pas de hiérarchie ». M. Trudel renchérit : « Ce qui est important, ce n’est pas qui met la rondelle dans le but, c’est que la rondelle rentre, peu importe quel organisme, individu, partenaire. On est concentrés sur les résultats. Ce n’est pas l’affaire d’une personne, mais de toute une communauté. »

UN TRAVAIL À LONG TERME

Bien que le comité veuille instaurer rapidement des solutions, les membres souhaitent s’assurer de la durabilité de celles-ci, et ils demeureront présents et vigilants dans les années à venir. « L’effort va être important au début, il faut mettre en place des structures de collaboration, mais il va falloir rester vigilants, présents, coordonner pour faire parler tout ce monde-là ensemble. On sait qu’on s’est pas juste donné une job pour six mois, mais pour au moins deux, trois ans », conclut M. Trudel.