Sa vie a chaviré il y a un an. Tout ce qu’il avait pour garder le cap coula d’un coup. L’été dernier, il me dit : « Je tombe dans le vide. » Son univers devint si sombre que le soleil de juillet se noya dans sa peine. Un tout petit cercle d’amis tenta, sans succès, de le remettre à flot.
En août, un médecin lui prescrit un congé de maladie… Au début de l’automne, notre camarade prit l’habitude de marcher toute la journée. Ses pas étaient incertains, mais il avançait, nous disions-nous. Puis, il cessa de nous voir. Il disait qu’il écrivait et se devait d’être seul. Je comprenais.
Nous étions inquiets et impuissants, car, pour nous, l’âme de notre frère se refroidissait. Je l’observais parfois, de loin, fixer le sol glacé sans lever la tête, peut-être pour s’éviter ainsi de tomber encore plus bas. Lors d’un rapide échange de vœux pour les fêtes, il m’avait confié ne pas voir le fond… Nous ne savions que faire alors qu’il s’isolait dans son hiver. Il ne retournait aucun message. D’après moi, il passa les fêtes seul.
Appel anticipé
Je reçois son appel samedi dernier. Sa voix est teintée de sourires! Je me sens rassuré jusqu’à ce qu’il me dise : « Tous les personnages de mon roman voient dans le noir maintenant… » Je l’écoute sans faire de commentaires et accepte son invitation à venir en forêt ce soir-là. Devient-il fou? C’est ce que je verrai…
Nous marchons longtemps pour rejoindre son camp de chasse. Il fait nuit. La piste est tapée, ce qui révèle qu’il passe beaucoup de temps dans le bois. Son regard est allumé. Il rit lorsque je sors ma lampe de poche : On n’en a pas de besoin, voyons! Dans trois jours, c’est la lune de février! Je l’entends rire pour la première fois depuis un an. Il parle sans arrêt et avec enthousiasme. Voici à peu près ce qu’il me raconte :
« J’ai eu mal jusqu’en janvier, mais là, il y a de la lumière partout! Tu vois les journées qui allongent? »
Je réponds oui, mais la vérité est que je ne m’arrête jamais à ça.
Éclairage hivernal
« Il y a de plus en plus de lumière! Partout! L’autre jour, la gérante du dépanneur m’a fait un beau grand sourire! Il était 17 h 20 et dehors il faisait encore clair! Plus ça va aller, plus ça sera lumineux! »
Puis, il parle de la nuit blanche :
« Il ne fait pas noir! La lumière du soleil est réfléchie par la lune! Regarde autour de nous! Tu vois? Il y a plus de lumière qu’une nuit d’été! C’est la neige : ses milliards de flocons éclairent notre chemin! Un flocon tout seul : c’est tel que tel! Mais là, tous les flocons sont collés ensemble dans l’hiver pour éclairer nos ténèbres! C’est beau hein? Tu trouves pas ça beau? »
Soulagement, mais…
Mon chum va bien mieux, c’est certain, tandis que moi, enfermé dans mon quotidien, j’ai le sentiment de porter des œillères. Lui, sa nuit est claire.
« La lumière est là, Philippe! On est comme les flocons : on se passe la lumière! Elle est en nous! Tu vois? Et tu sais ce que j’ai compris? C’est que, même les flocons écrasés… même les flocons écrasés peuvent briller! »
Merci camarade! C’est vrai qu’il est temps qu’on sorte de l’ombre…