Le projet a pris forme il y a quelques années, lorsque le colloque du Réseau les Arts et la ville débarquait à Rouyn-Noranda pour la première fois. L’évènement, qui circule d’année en année dans les différentes villes du Québec, a comme tradition de commencer par une visite patrimoniale des lieux. Une visite patrimoniale à Rouyn-Noranda n’a peut-être pas de quoi en mettre plein la vue aux dignitaires d’Outremont ou du Vieux Québec… du moins si on s’en tient à une version traditionnelle de la visite architecturale. C’est sans doute pour cette raison que les organisateurs locaux de l’évènement ont eu la première idée de génie de la saga : confier à Alexandre Castonguay la conception d’une visite de son cru à offrir aux invités du colloque.

Cette première mouture de ce qui est devenu plus tard Ma Noranda, vous le devinez, a eu un effet bœuf, tant parmi les prestigieux invités que parmi les simples locaux (dont moi) qui ont eu la chance d’assister à la naissance de quelque chose. Ce quelque chose, c’est la visite patrimoniale des fonds de ruelles et des sheds du quartier, le musée vivant des personnages singuliers qui composent le paysage de Noranda.

C’est dans l’univers d’Alexandre Castonguay qu’on déambule dans Ma Noranda. Ses lieux, son monde, et ce texte qui nous fait entrer dans son cœur comme une flèche. On dirait qu’il est à la fois Fleur Bleue et Mèche Courte, ses deux personnages. Un mélange de son enfance, de son adolescence et de sa vie d’adulte, à la fois trash et poétique, sincère, subtil, intelligent, loufoque, drôle et triste comme les gens qui le peuplent. On dirait une incarnation d’une toune de Desjardins. La magie de voir la beauté dans la laideur, d’être touché par la solitude d’une âme, sa singularité, sa quête. On ne voit plus la faune humaine de la même manière, après.

En bonus ? Les comédiens Julie Renaud et Frédérik Fournier sont magnifiquement bons. On dirait même qu’ils ont reçu une transfusion concentrée de Castonguay dans les veines, tellement ils sont « sur la coche ». Et que dire des tableaux dans lesquels on circule… entre le parking de la Twin Kiss et la cour arrière de M. Chose, le circuit ne laisse rien au hasard, nous amenant sur la piste secrète des souvenirs d’enfance et des rides de BMX dans la ruelle. De la poésie pure, soulignée à traits subtils par la scénographie d’Andréanne Boulanger.

Le festin de Jezabel Pilote est aussi surprenant que le contexte dans lequel on le goûte : bouchées pétillantes, barbe à papa et canard fumé tout droit sorti du lac Osisko. Sans être absolument nécessaire à l’expérience théâtrale, il ajoute une bonne dose de plaisir à la soirée par son audace et par sa façon peu commune de s’intégrer au spectacle.

Ma Noranda, c’est un gros blast d’émotions dans un décor pas du tout enchanteur. C’est un monde peuplé de personnages plus vrais que nature et incarnés par des figurants transfigurés de beauté tant ils sont eux-mêmes et chez eux, au cœur d’une histoire folle d’un gars qui court après une fille qui court après son chat. Impossible de décrire l’expérience. Si le Petit Théâtre s’y remet l’an prochain, ne manquez pas ça. Coup de foudre garanti.


Auteur/trice