LISE MILLETTE 

Ce matin-là, sous un ciel bleu, le soleil brillait dans l’air froid et humide. Des feuilles mortes se froissaient sous mes pieds qui traînaient alors que je me rendais au travail. Humer l’automne et son tapis crépitant, voilà un plaisir coupable du bon temps qui s’étire. 

De la buée s’échappait de ma bouche, alors que j’étais un peu essoufflée par une traversée à la hâte à l’intersection. Puis, pour couper court, j’ai opté pour le bord du lac pour effectuer une partie du trajet. 

L’eau exerce une attirance naturelle chez l’humain, une sorte de fascination. On retrouve d’abondantes références en la matière, que ce soit pour l’établissement de campements à proximité de l’eau, comme voies navigables et pour un usage alimentaire et sanitaire. Dans la Rome antique, c’est plutôt la force de l’élément qui s’imposait, avec Neptune, le dieu des eaux vives et des sources. 

L’eau comporte aussi des propriétés apaisantes : certains la qualifient de « musique blanche ». La musique blanche – ou bruit blanc – serait associée à un équilibre de fréquences d’une même intensité sonore, à l’instar de la lumière blanche qui constitue un équilibre des couleurs. L’eau procurerait ainsi un effet relaxant, voire méditatif. 

Photographe : Lise Millette

Je recherchais la proximité du plan d’eau, au milieu de la ville. Je n’avais pas le temps pour une véritable pause, plutôt un détour agréable, une furtive recharge, une envie de capter un moment paisible et d’entendre le clapotis des vagues avant de verser dans les cliquetis du clavier de l’ordinateur. 

Ce lac, oasis émergeant au milieu du béton, avec au loin l’usine et les voitures. Cette grande mare où à fleur d’eau se posent les oiseaux qui effectuent une rotation au gré des saisons : au printemps, les grèbes jougris, puis les goélands et les canards, parfois résidents, et enfin, tard l’automne, d’autres migrateurs et parfois des bernaches qui y effectuent un arrêt. 

Ce matin-là, des colverts faisaient saucette et dérivaient de contentement. Je présume qu’ils étaient heureux puisqu’ils avaient, eux, tout le loisir de filer au fil de l’eau sans autre préoccupation que le moment où ils s’envoleront en voiliers. 

J’enviais ces embarcations de plumes aux hélices palmées se muant tranquillement tels des berceaux flottants, comme en apesanteur. Puis, près du quai, se trouvait un long périscope au cou télescopique : un mât de plumes couronné d’un bandeau noir. Non pas celui du pirate d’une mère calme, mais plutôt d’un veilleur de rivage. Un cygne, puis deux. Un couple gracieux.  

Le détour, plus près, s’imposait, tout en douceur pour éviter qu’ils ne s’envolent. À mesure que je m’approchais à pas feutrés et qu’à travers les herbes hautes et les branchages, je pouvais mieux distinguer, apprécier la scène, j’ai pu alors observer, non pas deux, mais quatre cygneaux au plumage encore gris qui se tenaient comme des raisins en grappes. Rare spectacle que d’avoir ainsi une flottille de cygnes. 

À proximité, les barques sans rames canardées semblaient bien petites aux côtés de ces navires amiraux gracieux et silencieux. J’ai pu croquer quelques photos qui ne rendaient pas vraiment justice au tableau, mais qu’importe, je conservais l’image du veilleur à tête perchée qui surveillait les alentours pour protéger sa progéniture. 

J’ai dû délaisser le rivage et poursuivre mon chemin, non sans indiquer aux passants croisés qu’il se trouvait, non loin, un point de vue d’intérêt. 

À la fin de la journée, la bande de cygnes avait plié bagage, ne laissant que les autres bateaux à plumes pour écumer les rives et becqueter à la surface de l’eau, en quête de nutriments apportés par le vent. 

Ainsi passent les cygnes. Ils ne sont qu’oiseaux de passage, comme le chantait Françoise Hardy dans sa magnifique chanson L’amitié : « Beaucoup de mes amis sont venus des nuages, avec soleil et pluie comme simples bagages ». On ne sait pas toujours quand le vent l’emportera ni si ce sera une brise ou une bourrasque. 

À l’éphémère nous sommes ainsi contraints, avec bien peu d’emprise. Aussi bien faire comme les cygnes, agir en veilleur ou comme les passants en arrêt sur image pour tous ces êtres et moments de passage. 

Photographe : Lise Millette

Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.