CHANTALE GIRARD 

J’ai côtoyé Matthieu Dumont à plusieurs titres. Nous avons siégé au sein d’un même conseil d’administration, j’ai exposé au centre d’artistes L’Écart sous sa gouverne et à ses côtés lors d’expositions collectives, j’ai participé à plusieurs jurys avec lui et j’ai beaucoup écrit dans L’Indice bohémien sur son duo Geneviève Matthieu. Il a fait partie de mon univers artistique durant toute sa carrière. 

Je ne vous parlerai pas du choc que sa disparition a provoqué dans notre petite communauté artistique. Il n’y a pas de mot pour le décrire. 

Je vais toutefois parler de la personne qu’il était, du genre d’artiste qu’il a été. 

Photographe : Maryse Boyce

LIBERTÉ 

Il a été un artiste libre. Vraiment libre. Il avait entendu Pierre Falardeau un jour expliquer ce qu’était la liberté pour lui et Matthieu m’avait dit que cela l’avait grandement inspiré : vieille voiture, pas d’hypothèque, rien qui puisse l’attacher financièrement… C’était cela qui lui permettait de faire ce qu’il voulait, quand il voulait. Pas n’importe quoi, bien entendu, mais de poser des gestes sans avoir de comptes à rendre. 

Il assumait donc cette liberté avec bonheur. C’était ce qu’il aimait de l’art; tout était possible. Comme directeur artistique de L’Écart, il insistait toujours sur l’idée de l’espace de création que la galerie offrait aux artistes. Un espace de liberté totale, intime et inaliénable. Toujours présent en soutien, mais en retrait pour ne pas imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. On l’a bien vu dans les activités qu’il organisait, en particulier les Paranoëls, ces réunions de fins d’année où les artistes pouvaient absolument et totalement être eux-mêmes. Notons également qu’il a été à l’origine des biennales de performance durant lesquelles le public a été en contact avec l’art performatif à l’échelle internationale. 

Pour Matthieu, l’art n’était pas une chasse gardée élitiste, mais un lieu vivant dans lequel l’artiste peut s’épanouir. C’est pourquoi on sentait chez lui un profond ancrage dans la vraie vie. Il faisait partie intégrante de sa communauté. Et cet investissement personnel se doublait d’une bonne humeur contagieuse. Matthieu était toujours à la recherche de solutions, très disponible et très aidant. Toutes les personnes qui ont travaillé avec lui avaient envie de travailler avec lui et elles garderont en souvenir son grand rire et son regard amusé.  

VIE PERSONNELLE/VIE ARTISTIQUE 

Aussi, l’art était une pratique globale. Peinture, performance, musique : aucune cloison entre les disciplines. L’art était une activité intégratrice : même l’idée du couple faisait partie de sa production. L’art de Matthieu était dans l’art de Geneviève Crépeau et l’art de Geneviève était dans l’art de Matthieu Dumont. Le duo avait d’ailleurs abandonné le « et » de Geneviève et Matthieu pour devenir simplement Geneviève Matthieu.  

RIGUEUR 

Toutes ces qualités n’excluaient pas une rigueur intellectuelle à l’égard de sa propre création et à celle des autres. Il discutait volontiers de sa production et donnait de la rétroaction pertinente sur celle des autres. Toujours dans le respect et la bonne humeur. 

Cette rigueur lui a permis d’être un directeur artistique précieux pour L’Écart, en développant de nouvelles pistes de diffusion dans le souci de garder les précieux acquis du centre d’artistes. Les dernières fois où j’ai participé à un jury de programmation de L’Écart avec lui, nous avions reçu une centaine de dossiers pour six plages d’exposition. Il avait réussi à faire du centre (avec Geneviève Crépeau, elle aussi à la direction) un lieu de diffusion recherché à l’échelle de la province. 

Geneviève et lui avaient décidé, il y a quelques années, de quitter la gestion du centre d’artistes afin de se consacrer entièrement à leur carrière artistique. Tout l’automne dernier, nous avons pu suivre leurs pérégrinations à travers la France sur Facebook, sans savoir qu’il s’agissait du dernier tour de piste de Matthieu. 

La perte de cet artiste inspirant, en pleine ascension, est d’une tristesse infinie. 


Auteur/trice