LISE MILLETTE
Et si on tentait de résumer le monde en une seule photo, en une image, et qu’on tentait d’extrapoler la nature de l’humanité. Défi colossal, non? Est-ce que ce serait une photo d’action? Un paysage? Une foule? Un événement marquant, tragique ou heureux? Un seul moment ne suffirait pas à traduire toute la complexité de l’humanité.
Selon le musée de la photographie de la Maison Nicéphore Niépce, le premier procédé photographique aurait été inventé quelque part il y a 200 ans, vers 1824. L’inventeur se nommait Nicéphore Niépce et sa technique consistait à utiliser une plaque d’argent sur laquelle on étendait du bitume de Judée. Il fallait toutefois faire preuve de patience puisque le temps de révélation de l’image prenait plusieurs jours. Par la suite, heureusement, le développement de la photographie n’a cessé d’évoluer.
Ainsi, on capture l’instant. Certains préfèrent dire « croquer le moment ». J’aime bien l’idée de figer le temps, ce qui suggère que ce n’en est qu’une infime parcelle.
Sur l’image, c’est souvent le détail qui attire l’attention, mais le détail fait-il véritablement le moment ou ne vaut-il pas mieux mettre l’accent sur l’ensemble du plan qui traduit davantage le contexte?
Lorsqu’il faut arrêter son choix sur « ce qui a fait » une année ou ce qui a fait l’histoire, on a tendance à opter pour des éléments de grande distorsion et à y accorder une prépondérance nette. Si des événements ont objectivement orienté par la suite l’histoire, ils demeurent des cas d’exception qui ne traduisent pas forcément la nature du monde ou de l’humanité, ni d’ailleurs pour toute l’humanité.
On voit le monde par son propre prisme. Notre lentille, qu’elle soit abitibienne, témiscamienne, québécoise, nord-américaine, nouvellement posée ou venue d’ailleurs, n’est qu’un point de vue qui, forcément, tourne le dos à d’autres réalités. Personne n’a cette vision 360 degrés : nous ne sommes pas des chouettes ni des hiboux dotés d’une vision périphérique absolue.
Je me suis aussi posé la question : sommes-nous à tout le moins pourvus de la faculté de faire le bon focus sur ce qui nous entoure? Est-ce que notre lentille nous permet véritablement d’avoir une vision nette et claire?
Aussi, souhaitons-nous restreindre le panorama à un seul angle ou, au contraire, cherchons-nous à multiplier les images, les points de vue, l’étendue du même souffle de notre regard posé au loin pour ainsi embrasser toute l’étendue des possibles? Je n’en fais pas un objectif à atteindre, mais un point de mire ou un sujet à explorer.
Que les mois qui viennent servent à constituer un vaste répertoire de fragments, de pièces et de moments. Que si l’un d’eux s’impose, alors souhaitons qu’il s’agisse d’un instant heureux. Parce qu’il s’agit là d’une autre hantise… celle que l’image qui reste, à la fin d’une année, d’un siècle ou d’une époque, soit à ce point funeste qu’elle vienne ternir tout le reste.
Il n’y a pas lieu de porter des lunettes roses et de vouloir voir le monde à travers un filtre pastel déclinant les couleurs de l’arc-en-ciel figées dans un décor à la guimauve. Je sais bien que la réalité peut être froide et nue. Seulement, cette même réalité se compose de teintes et de nuances qui ne la rendent que plus complexe.
Même le noir et blanc ne se veut pas une aussi grande polarisation qu’on oserait le croire. Tout est jeu de lumière. J’ai entendu le comédien Édouard Baer répéter que « la nuit, on crée sa propre lumière, tandis que le jour, elle est imposée par le soleil ». J’ai trouvé ça plutôt joli.