DOMINIC RUEL

Revenons à Guillaume Éthier et à son ouvrage La ville analogique (Atelier 10) dont j’ai parlé dans ma chronique précédente(numéro d’octobre 2024). Je présentais sa thèse sur la ville renouvelée, qui contribuerait à nous éloigner des écrans et des réseaux sociaux, donc de la cité virtuelle et numérique. Le centre-ville comme moyen de déconnexion, un véritable lieu d’interactions humaines.

La ville analogique est d’abord lente. Elle vient contrebalancer la vitesse produite par la cité numérique. Elle vient offrir l’arrêt, souvent et en tout lieu. Ces temps d’arrêt peuvent permettre des moments uniques : on se parle enfin, on partage, on s’entraide. Pour ce faire, il faut faire de la place dans la ville! Avec des espaces animés, des installations temporaires et des aires de jeux. Pourquoi pas des potagers et un coin sportif? Tout pour rendre le milieu plus convivial. Aménager aussi des « rues partagées », entre les différents moyens de transport, qui invitent aussi à la cohabitation.

La ville analogique est ensuite tangible. La pandémie et la distanciation ont montré les limites de la cité numérique. Elle n’offre pas la sociabilité en chair et en os, la seule qui compte. Zuckerberg et compagnie nous font croire que leurs métavers, leurs avatars et leurs lieux virtuels immersifs combleront les besoins des gens, assis dans leur sous-sol. Guillaume Éthier propose autre chose : une ville-réservoir d’expériences impossibles à vivre dans un quelconque multivers. Il met au cœur de sa vision l’idée d’ambiance, d’un véritable appel aux sens. Il cite un exemple que les plus jeunes n’ont pas connu : le club-vidéo. Il brillait dans la nuit, il y avait cette odeur de maïs soufflé, ces couleurs partout, la clientèle et le personnel, avec qui on pouvait discuter cinéma. L’ambiance rend l’espace tangible : pour les yeux, le mobilier urbain ou une fresque; pour les oreilles, le bruit d’une fontaine ou une musique de circonstances; pour le toucher, la terre des potagers dont je parlais plus haut.

Puis, la ville analogique est intime. Guillaume Éthier l’affirme : la ville peut devenir l’extension du domaine résidentiel. Cela peut surprendre, car il est difficile de penser que la ville soit utilisée à des fins domestiques, comme se reposer et se divertir. Il faut donc repenser et aménager nos villes afin de leur donner le confort et l’intimité qui se rapprochent de ceux de la maison. Pour cela, l’auteur propose de revenir aux « tiers-lieux », presque disparus, du moins aux États-Unis, au grand dam des sociologues, dont Oldenberg qui les appelait « les bonnes places » [traduction libre]. Ce sont des lieux entre la maison et le travail, où les membres d’une communauté se retrouvaient pour échanger, tout simplement : le pub, le resto du coin, le salon de coiffure, le club social. Finalement, c’est ce qui fait un quartier le lieu d’ancrage.

La ville analogique est, finalement, imparfaite. La ville numérique exige de la précision, de l’efficacité et de la transparence. Au contraire, la ville analogique permet l’expérimentation, les défauts et les erreurs, les projets évolutifs (work-in-progressif) entre citoyens. La banlieue poursuit aujourd’hui la recherche de la perfection et de l’ordre. Préserver le patrimoine et les cicatrices, comme le vieil entrepôt, le bout de terrain vague, la dalle d’un ancien bâtiment, donne un sens à la ville.

La ville analogique deviendra celle qui offrira la sincérité, l’énergie humaine et une forme de communion. Notre époque en a besoin.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.

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