Lise Millette
C’est un soir de début d’hiver et l’un de mes plus tendres souvenirs d’enfance… Le froid venait de s’installer et quand je n’étais pas emmitouflée dans mon manteau pour jouer dehors et prendre l’air, je retrouvais la chaleur du dedans.
La nuit tombée, c’est sous les draps et les couvertures que je m’étais glissée. Peut-être bien sous une catalogne que ma grand-mère avait tissée sur le métier. Comme j’ai toujours eu le sommeil facile, une fois les paupières closes, déjà les songes se frayaient un chemin pour élaborer des images et des histoires décousues en cinémascope.
J’ai été tirée de mon lit. La tête en nuage et un peu titubante d’endormissement, ma mère me demandait de la rejoindre au salon. Les rideaux ouverts sur le lampadaire d’en face, la lumière jaune et blafarde éclairait une nuée de gros flocons blancs. On aurait dit des éphémères virevoltant sous l’effet du vent. Un joli tourbillon de neige. Je crois m’être assoupie sur le cadre de la fenêtre, hypnotisée par cette poésie d’hiver, par nuit froide et vent léger.
Plus de 40 ans plus tard, un autre spectacle sur fond de voûte étoilée s’est offert à moi. Des lueurs vertes, comme des spectres qui dansent entre les étoiles, ont peuplé l’immensité du ciel.
La scène a l’effet d’un aimant et exerce son magnétisme sur les spectateurs passifs de sofa ou les lecteurs tranquilles curieux. Un voisin sort de chez lui.
- J’ai regardé sur mon appli météo. Paraît qu’il y a des aurores ce soir?
- Oui, ça danse depuis tout à l’heure.
Le nez dans les airs, la tête renversée, nous étions deux à tenter de comprendre ces mouvements qui s’étiraient et ondulaient en lames, en pointes, en épinettes, en rondeurs aussi. Deux dans mon petit bout de rue, mais combien d’autres disséminés un peu partout, dans la même position.
Dans le silence frais à l’extérieur, à des milliers de kilomètres, la matière se rencontre et nous en sommes témoins. Certains fixeront l’instant sur une photo, qui révèlera des teintes et des couleurs imperceptibles à l’œil nu. Ces images partagées nourrissent ensuite les souvenirs de celles et ceux qui les ont vues en plus d’engendrer l’envie d’y être une prochaine fois chez les autres.
Étonnante, tout de même, cette splendeur sur laquelle l’être humain n’a aucune emprise. Cette incapacité d’altération a sans doute à voir avec le nombre considérable d’hypothèses ayant émergé pour les décoder.
Au fil des siècles, elles ont été tour à tour associées au mauvais augure et aux bons présages. Esprits des ancêtres tentant de communiquer avec leurs descendants, passage des âmes vers un autre habitat, lueurs bienveillantes, signe annonciateur d’une pêche abondante le jour suivant pour les pêcheurs nordiques et à l’inverse présage de guerre ou de maladies.
La science apporte désormais une lecture plus structurelle. Particules de soleil éjectées qui se frottent au champ magnétique de la terre, l’aurore naît d’un choc.
« Ces collisions génèrent de minuscules éclats lumineux qui emplissent le ciel de voiles colorés. C’est le même principe qu’un tube fluorescent au néon ou un écran cathodique. Des milliards de lueurs apparaissent en séquence, ce qui donne l’impression que l’aurore flotte comme un rideau dans un courant d’air », précise l’Agence spatiale canadienne.
Dans le même document, on mentionne que l’expression « aurore boréale » est associée à l’hémisphère nord et que le même phénomène, au sud, se nomme « aurore australe ». Pour les désigner l’une et l’autre de manière inclusive ou générale, il faut alors parler d’aurore polaire, c’est-à-dire reliée aux pôles de la Terre, là où elles se manifestent. Cela en fait un attrait des régions nordiques qui moussent parfois leurs campagnes touristiques sur la possibilité de les observer.
N’empêche, comme bien d’autres beautés non taxables et démocratiquement accessibles, à condition d’être assez loin de la pollution lumineuse et préférablement avec les pieds dans le Nord, il suffit d’ouvrir l’œil.