GABRIELLE IZAGUIRRÉ-FALARDEAU

This train is a clean train/Everybody ridin’ in Jesus’ name : ainsi chantait Sister Rosetta Tharpe, usant du train comme métaphore d’un monde uni et juste. Reprenant ce symbole du progrès occidental tout en remettant en question ses failles, This train est également le nom du plus récent projet de la musicienne et artiste sonore Marie-Hélène Massy Emond. Se déclinant en trois résidences artistiques au Musée de la Gare de Témiscaming, This train se conclura par une marche-concert dans les rues de la ville.

L’ART DE LA RENCONTRE

Pour Massy Emond, il s’agit ici de s’intéresser à l’expansion du monde capitaliste et du pouvoir industriel : si le train du progrès a pu amener des bénéfices, il faut se demander aussi qui a pu y monter, qui a été écrasé sur son passage, qui a été expulsé de chez soi par l’invasion des rails. Qui sont les ouvriers et ouvrières de son expansion? Le rapport au travail se retrouve ainsi au centre du processus créatif de Massy Emond et de ses rencontres avec la population.

À chacune de ses résidences, Massy Emond s’associe à une ou un artiste pour explorer un aspect de la création. Accompagnée une première fois par la dramaturge Mathilde Benignus, elle était, au moment de l’entrevue, secondée par Emily Marie Séguin, aussi musicienne. Ensemble, elles ont offert chaque jour des séances d’improvisation musicale au parc Philippe-Barrette et ont échangé avec les citoyennes et citoyens afin de recueillir des chansons et d’ouvrir des récits liés à la question du travail.

Pour la dernière étape du projet, l’artiste visuel et sonore Dominic Lafontaine complétera le duo. Il contribuera aux installations sonores de la marche-concert, mais se penchera aussi, avec Massy Emond, sur la réalité des jeunes : « Qu’est-ce que c’est de vivre dans un milieu mono-industriel à 16-17 ans? À quoi rêve-t-on? », demande-t-elle.

LE MUSÉE COMME ANCRAGE

This train représente une première pour le Musée de la Gare, qui n’avait jamais accueilli d’artiste en résidence. Pour Massy Emond, l’apport du musée et de sa directrice, Marie-Pier Valiquette, revêt une importance capitale : « Le musée constitue en quelque sorte le quartier général de la création. Il permet de me mettre en lien avec la communauté et avec la documentation historique », précise-t-elle. L’endroit devient ainsi essentiel à la rencontre citoyenne et à la représentation de l’imaginaire collectif : « Le musée a une place prépondérante dans la façon dont une communauté peut se rêver, se choisir, changer. Quand l’économie d’une ville ne va pas bien, que reste-t-il? Cette fois-ci, qu’est-ce qui va changer dans le modèle et ça sera pour l’avenir de qui? Ce sont des questions qui s’appliquent à tellement de lieux », affirme Massy Emond, souhaitant rattacher la réalité témiscamienne à celle du reste de la région et de tous les endroits contraints de repenser leur rapport au territoire et à l’industrie.

MARCHER DANS LA VILLE

Le 26 octobre, à partir du Musée de la Gare, le public sera convié à une marche-concert, soit un déambulatoire composé notamment d’objets sonores, de dispositifs de prises de parole et d’extraits d’entrevues. Massy Emond souhaite, par la marche et le son, convier le public à une prise de contact distincte avec son œuvre et accorder une place centrale à l’influence de l’écoute sur notre perception de l’environnement. Le tout se conclura par un rassemblement, en cohérence avec l’inclusion de la communauté locale à chaque étape du projet : « C’est une façon d’honorer la communauté de Témiscaming, qui traverse une période complexe. Ce qui m’a portée à vouloir travailler ici, c’est l’histoire ouvrière de la ville. C’est une histoire riche qui m’a beaucoup touchée grâce à l’éloquence des ouvriers du documentaire de Martin Duckworth Témiscamingue, Québec », conclut-elle.