Récit identitaire, spirituel, initiatique, d’évasion, de quête, de vie, autobiographie… Quand j’ai quitté l’île Népawa (éditions Julliard) n’entre pas dans une catégorie définie, dans un cadre établi, tout comme son auteur, d’ailleurs. C’est l’histoire d’une existence, celle de Julien Pelletier, sur l’Île Népawa, où il a passé son enfance, faisant partie des quelques familles qui y habitaient durant la Grande Noirceur. À cette époque, il ignorait tout du reste du monde.
Le jour où la famille a quitté l’île, les horizons du jeune Pelletier se sont dessinés autrement. Appel de la quête, de la recherche, de la tentation, de l’aventure et des faux pas. Autre chose… Ailleurs… Autrement… À son univers jadis minuscule se greffait une existence aux allures de majuscule. Globe-trotteur, bohème, vagabond, il a suivi le chemin de son âme, de son esprit, de son cœur, plutôt que celui de la raison, de la logique et de la pression sociale. Il lui était impensable de « perdre sa vie à la gagner ».
Il a vécu au pluriel, en multipliant les pays, les rencontres, les idylles, les amitiés, les boulots, les aventures sexuelles, les voyages, les découvertes, les mésaventures, les joies, les peines, les solitudes, les prises de conscience et les réflexions. C’est ce qu’il livre : un bagage de vie bien rempli même s’il a toujours voyagé léger. Emprisonné au Maroc, serveur et maçon en France, pêcheur en Grèce et de passage dans un ashram en Inde ne sont que quelques exemples des tranches de vie qu’il raconte.
Pour Julien Pelletier, les choix nécessaires à l’écriture d’un récit de vie relèvent de la subjectivité. Ainsi, il ne peut prétendre dire « la » vérité absolue. « Et puis comment choisir parmi les innombrables événements, petits ou grands d’une vie, les plus importants? Quelles rencontres ont été les plus significatives? Quelles joies et douleurs intimes m’ont marqué particulièrement? Comment rendre compte des expériences qui ont participé à ma fabrication en tant qu’individu? Deux termes, deux principes plutôt, m’ont guidé : justesse et justice. Tenter de dire juste, en étant au plus près de mon vécu, du ressenti. Tenter d’être juste; certaines personnes m’ont beaucoup donné et d’autres m’ont empêché d’exister. Il fallait dire les deux. »
L’auteur compare l’exercice autobiographique à une enquête policière ou à une fouille archéologique. « On cherche des indices, on regarde des photos, on creuse sa mémoire, on reconstruit une scène vécue… Et puis une émotion oubliée jaillit… Une révélation soudaine se fait… Et on a le clair sentiment de “saisir”, de savoir ce qui dans le fatras d’une vie a compté vraiment et compte encore aujourd’hui, parce que cela me constitue. Par exemple, lors de l’écriture de ce récit, je suis retourné sur l’île Népawa que je n’avais pas vue depuis très longtemps. À l’approche du pont de l’île, qui symbolise mon enfance, j’ai étouffé un sanglot. L’émotion était forte, d’une source profonde, à la fois obscure et révélatrice. »
Le récit est chronologique, linéaire et fluide, tout le contraire du parcours choisi par Julien Pelletier. On ne lit pas le fil de son existence, on le vit, on le ressent, on le dévore, on le remet en question, on le comprend et on l’envie. Il y a de ces lectures qui changent notre état d’esprit. Quand j’ai quitté l’île Népawa en fait partie. Une prise de conscience intérieure opère; des barrières tombent; tout se décloisonne. C’est un monde de contradictions qui s’inscrit tout de même dans une certaine logique, une fois qu’on analyse le portrait dans son ensemble. Ce qui pourrait être chaos devient nécessaire, existentiel. C’est une autobiographie qui nous apparaît soudainement comme un livre de croissance personnelle. Lire Julien Pelletier, c’est briser les chaînes, éliminer les frontières, franchir les barrières… C’est un état de liberté!