La fin des classes a déjà sonné pour les cégépiens et les universitaires; les élèves du secondaire suivront ce mois-ci. Pour certaines personnes, la fin rimera avec remise des diplômes, pour d’autres, une année de moins au parcours scolaire. La fin des classes a souvent pour corollaire l’appel des vacances et d’une certaine liberté.  

Les jeunes arpenteront les rues pour les semaines à venir ou s’attrouperont çà et là pour profiter des beaux jours. Les voir ne peut que nous ramener dans le temps, à l’âge du flânage pour certaines personnes, à la légèreté pour d’autres, ou encore à cette période d’errance personnelle et de questionnements. J’étais du troisième lot. Poète tourmentée, questionnement profond sur le sens de la vie, puissant désir de faire une différence pour tenter de remettre, un tant soit peu, le monde sur ses rails parce que, comme à toutes les époques, le mur s’annonçait droit devant. Et après les tourments, venait l’idéalisme de dire : « J’y arriverai; je serai la différence. » 

C’était avant les réseaux sociaux qu’on connaît aujourd’hui. Pas de vidéo, pas de photo. Que du texte défilant sur un écran, la plupart du temps en format DOS somme toute assez aride. Alors, on délaissait les correspondances lointaines pour une balade au parc, une sortie en bordure d’un plan d’eau ou un simple rendez-vous avec un livre à dévorer tranquillement. Toute ma jeunesse, j’ai parcouru le monde dans les livres, de sorte que ma bibliothèque a longtemps contenu mes plus beaux albums de voyage. 

C’était au temps du vrai. 

Quand la pandémie nous est tombée dessus et qu’est né un désir de renouer, de reprendre contact, de prendre ses distances avec les écrans, j’ai cru à un retour dans cet hier. 

Ce fut le cas… partiellement. Plusieurs autres paramètres ont émergé, à géométrie variable. Une distanciation qui se maintient, la bise ou la poignée de main plus sélective et moins spontanée, et les écrans toujours omniprésents. Même que l’intelligence artificielle a fait quelques bonds considérables, à un point tel que l’humain n’est parfois plus nécessaire à la communication. 

Plus d’une personne s’est inquiétée des moteurs conversationnels comme ChatGPT avec lesquels il est possible de rédiger tout et n’importe quoi à partir de quelques questions préalables. S’ensuivent des craintes sur la capacité de réfléchir par soi-même, de se faire potentiellement duper, de se laisser berner par la machine. 

Ça me rappelle que, plus jeune, j’aimais bien aller consulter des « générateurs de langue de bois » ou encore des « machines à phrases ». Il s’agissait de tableaux prédéfinis, avec des colonnes comportant des bouts de phrases. Il suffit de passer d’une case à une autre, peu importe la ligne, pour générer un discours creux. À l’usage, on devient nettement plus habile à déceler cet art de parler sans se mouiller dans le florilège d’expressions caverneuses qui tapissent parfois les déclarations publiques des protagonistes de la vie publique. 

L’Institut Hansen va jusqu’à parler de « puissant outil d’hypnose conversationnelle » qui permet d’endormir le public. Sur son site Internet, on trouve d’ailleurs un exemple de machine à phrase appliqué à la politique. 

De toutes les époques, toutefois, il y a eu des mains levées pour déplorer les endormeurs publics. Même Molière, en 1660, s’en moquait dans sa pièce Les précieuses ridicules, qui présentait des périphrases ampoulées utilisées par quelques bourgeois : « Monsieur, ne soyez pas inexorable à ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d’heure; contentez un peu l’envie qu’il a de vous embrasser ». 

Que de mots pour simplement vouloir dire : « Monsieur, veuillez vous asseoir! » 

Le tout est à la fois fascinant et terrifiant. 

Alors, en marge de l’artifice, il me vient l’envie de décrocher, pour vrai. De renouer avec la terre ferme pour ne pas me perdre ni dans les hautes sphères du langage scripté ni dans les réseaux virtuels. J’en fais mon ancre dans le réel et pour la base. Et pour m’aider dans la démarche, j’ai fait l’acquisition de trois poules rousses. C’est mon plaisir d’été, regarder mes cocottes picorer le grain en caquetant et lissant leurs plumes. Le bonheur simple, qui me récompense à coups de jolis œufs bruns chaque matin. Y’a pire… 


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.