Que faire quand l’hiver se dépose sur nos combats Quand le givre recouvre les rues que nous nous étions réappropriées Quand le froid s’abat sur le champ des possibles patiemment semés On opère la jachère jusqu’au prochain printemps On tempère, on fait le point, on reprend des forces On s’organise en tunnel, tapi sous la neige, notre feu ronronne Mais comment réinventer la révolte Comment habiter nos luttes pour renouer les corps De quel récit peupler nos discours quand les glaces cèderont Cette réflexion se veut un appel, une trêve, un dialogue Elle se veut une tentative, un changement de perspective pour mieux allier nos voix, mieux tendre la main, mais surtout l’oreille afin d’élever nos batailles, au-delà de ce qui nous mitraille au-dessus de ces murs qui se dressent entre-nous et de ceux qui les façonnent Cette réflexion se veut un écho à la laideur qui nous divise et règne en maître chez nous un écho à la peur qui nous lie tout un chacun sans la repousser, se doter d’un terrain pour l’exposer, l’apprivoiser un écho, enfin, à la beauté qui permet à notre pays de tenir debout malgré les chutes, les coupures et les trous de nos vies Cette beauté austère qui ne se laisse pas gagner facilement mais qui se sublime dans le bruit de nos rencontres dans les périphéries de l’histoire et les frictions de nos quotidiens Cette réflexion ne se veut, en fin de compte, pas grand-chose d’autre qu’une proposition de reprendre la suite du monde là où on l’avait laissée mais en abordant, justement, ces frictions révélatrices en prenant le temps d’y faire face collectivement pour construire nos printemps communs sur ce qu’elles nous dévoileront de nous Et c’est à ce moment que nos réels opposants mesureront la force qui nous habite c’est à ce moment qu’ils trembleront parce qu’ils sauront, dès lors que nous avons gagné JE T’ÉCOUTE POUR TE VOIR À toi, qui travaille dans une mine toi, le foreur,, le conducteur de machinerie lourde, l’ingénieur géologue toi, la mécanicienne industrielle, la contremaître, la spécialiste en rejet minier on s’est connus sur les bancs d’école on s’est croisés sur un terrain de basketball on s’est parlés, on a échangé, pis on a développé quelque chose qui s’inscrivait dans le grand schème de l’amitié aux temps adolescents c’était une autre époque puis soudain on s’est tourné le dos pas par rancune, vengeance ou colère juste la vie Toi tu es descendu dans nos sous-sols pour embrasser ton héritage trouver de quoi manger, aussi Moi je suis parti dans des ailleurs pour brûler mes ailes contre tous les soleils du monde à ma façon, j’essayais tout autant de me nourrir Avec les moyens qu’on se connaissait on cherchait une manière de survivre * Puis sont arrivés les crises les tensions, les combats auxquels on s’accroche fort question de donner un sens aux choix, aux parcours de vie question d’excuser nos erreurs, parfois On y plonge notre ferveur sans compter ce qu’on laisse en gage une partie de peau usée ou d’optimisme un peu cerné Des deux côtés de la ligne, ça parle fort ça balance des demi- ou des vraies vérités ça insulte et ça montre les dents des deux côtés de la ligne ça tente de semer la peur parce que la crainte de l’autre restera toujours le meilleur abri où y loger la sienne Pourtant, des deux côtés de la ligne une seule et même famille qui s’affronte des frères, des sœurs, des cousines, des amis, des parents, des grands-parents une mascarade dans l’éclatement des racines il n’y a pas de nous il n’y a pas de vous ça n’existe pas ça n’existe pas Il y a juste, quelque chose comme un grand peuple cherchant à survivre sur un territoire encore plus grand territoire cicatrice, ne lui ayant jamais vraiment appartenu Entre nos failles en sang et la sève des corps chacun dans notre coin avec les outils à portée de main on fraye des passages à travers les hivers mais il n’y a pas de nous mais il n’y a pas de vous cette histoire est la tienne, la mienne, la nôtre on parle tous le même langage même si on ne s’en rend pas compte on parle toutes des mêmes luttes fécondes même si on articule différemment On récite tous deux versions du même livre il serait temps de rallier nos quotidiens de retourner à la source qui nous a donné naissance On sort toutes du même ventre ta mère cap de roche, c’est ma mère mon père serpent de rivière, c’est ton père on est du même pays on est du même monde on partage la même langue Personne qui foule notre terre ne gagnera à la dissension personne qui appelle ce pays : maison ne sortira vainqueur des querelles de balcon c’est ensemble, qu’on remportera nos combats de l’ordinaire c’est dans l’écoute, qu’on tissera victoire au-delà des fatigues * donc aujourd’hui, moi le militant écolo-sanitaire, le soi-disant-snob-gars-de-la-ville je te dis à toi la travailleuse et le travailleur acharnés, le gars de truck ou la fille de pick-up, soi-disant-individualistes rompons avec ces préjugés Brisons ces stéréotypes réducteurs qui ne rendent pas honneur à la fibre témiscabitibienne qui résonne en chacun de nous je te dis, à toi, mon oreille est là pour entendre ton récit, tes craintes et tes rêves tournons la page sur ce pan de notre histoire empruntons ensemble le sentier qui mène à l’épinette millénaire et travaillons de concert à peupler nos lendemains d’espoir et de temps doux à l’image de la beauté de nos ciels boréaux Pour que plus jamais nos peurs et nos envies ne redeviennent cette arme grotesque pillant le cœur des communautés Et pour que toujours le pain demeure sur nos tables, le toit sur nos têtes et le vivre-ensemble tatoué au fond de nos corps de glace comme la trace commune retenant la déchirure du temps comme le fil d’or qui nous tisse serré dans la grande trame de ce territoire qui nous habite Je viens vers toi prenons le temps de s’apprendre je ne suis pas là pour juger Je veux te jaser marchons ensemble je suis là pour t’écouter