ARIANE OUELLET

Il y a quelques jours, j’ai eu la chance d’assister à un spectacle d’Émile Proulx-Cloutier en Abitibi-Témiscamingue. Le matin même du spectacle, je n’avais pas encore acheté mon billet et pourtant, j’aime cet artiste. Le lendemain de son passage à Val-d’Or, je reçois, en moins de dix minutes, un message de deux personnes différentes me disant « Manque pas ça! ». Le destin complotant magnifiquement avec le gars des vues, un troisième message arrive quelques minutes plus tard, alors que je venais d’ouvrir la billetterie en ligne, d’une amie m’offrant de l’accompagner le soir même pour aller voir le gars. Je sais reconnaître quand l’univers conspire, alors j’ai dit « oui » sans hésiter.

C’est difficile de trouver les mots justes pour expliquer l’effet viscéral qu’un artiste peut avoir sur nous. La rencontre d’une œuvre et d’un artiste avec cette partie de moi que je peine à comprendre. Je deviens un réceptacle, une chambre d’écho. Je me lève et j’applaudis pour signifier que j’aime ce que je vois, ce que j’entends, mais ce geste est tellement insuffisant à exprimer l’ampleur de ma gratitude et de mon émotion. J’accueille avec beaucoup de respect une prestation d’art vivant, pleine de risque, un humain se livrant à la foule dans toute sa vulnérabilité. Il pourrait se tromper dans ses notes, oublier ses paroles, il pourrait faillir. Et pourtant il est là, douloureusement lucide et sincère, cherchant son public et un peu d’amour aussi, peut-être.

Il me revient en tête le souvenir d’un cours de philo au cégep, où le prof nous a demandé de réfléchir à cette phrase de Platon : « Seule la beauté a reçu pour lot le pouvoir d’être ce qui se manifeste avec le plus d’éclat et ce qui suscite le plus d’amour. » J’ai alors réalisé à quel point nous avons collectivement besoin de beauté, de gens qui portent des utopies et des convictions, qui donnent du sens au présent. Nous avons besoin d’inspiration. Je ne suis sans doute pas la seule à brailler ma vie en écoutant certaines chansons, en regardant des films, en lisant des romans. À devoir fermer les pages et les yeux quelques instants, question de laisser l’onde se déployer dans mon corps et mon esprit lorsqu’une formule, une image, une sensation vient me percuter de plein fouet. L’instant de savourer le choc émotif, la splendeur du monde jusque-là imperceptible à mes schémas.

Je repense à une rencontre avec le Dr Stanley Volant, ayant eu lieu il y a plusieurs années lors de sa grande marche Innu Meshkenu. Il disait alors : « Si personne ne rêvait à améliorer le monde dans lequel on vit, on ne transformerait rien. » C’était le sens qu’il donnait à sa quête, donner le goût de rêver. Je le trouvais peut-être utopiste, à l’époque, mais j’ai fini par comprendre qu’il avait raison.

Je suis vaguement la campagne électorale qui bat son plein au Québec depuis quelques semaines. Je ne peux refréner un sentiment d’exaspération chaque fois que, du coin de l’œil, je vois une ixième conférence de presse avec des pancartes et des épouvantails plantés derrière leur candidat, hochant la tête en guise d’approbation. Je ne suis pas allergique à la politique, j’ai grandi à travers des assemblées de cuisine chez le paternel et une mère attachée politique dans la circonscription. J’ai compris le rôle d’un député quand, entre un dossier de construction de salle de spectacle et de fermeture d’usine de sciage, il a dû défendre une mère monoparentale à qui on retirait le chèque d’aide sociale parce qu’elle avait un amant. (On était au début des années 1980, genre.) La représentation politique de proximité est donc essentielle pour défendre les réalités sociales et territoriales. J’y crois.

Depuis, j’ai vu passer quelques députés en Abitibi-Témiscamingue, députés, et de différentes allégeances. Au provincial, au fédéral. Je demeure convaincue que malgré les divergences de valeurs ou de préoccupations, la grande majorité de ces personnalités politiques ont servi leur territoire et leur monde au mieux de leurs capacités. J’y crois aussi. Outre le besoin de pouvoir de certaines, la plupart sont animées d’un engagement personnel sincère à servir une cause plus grande que soi, à transformer le cours des choses.

Pourtant, quand passe le mot « politique » dans le fil d’actualité, ça me donne illico une crise d’urticaire mentale. Les médias télévisés ont fini par créer un cirque dénué de tout espace de discussion réelle, un ring de boxe où hargne et hostilité usurpent l’espace du débat. Les vraies idées ne peuvent s’exprimer dans une punch line. La parole plie sous le poids du temps d’antenne qui se change en spectacle. Le pire, c’est que ce n’est même pas efficace. C’est creux. Pire encore que la violence verbale, ce sont les partis qui dictent à leurs candidats d’en dire le moins possible pour ne pas se mettre le pied dans la bouche avant les élections. Des marionnettes à qui on fait dire ce que le parti décide, et qui parlent ensuite de démocratie. Mais là, je m’égare.

Si je réagis de façon si épidermique aux zoos médiatiques, c’est qu’ils sont la cause d’une culture de l’instantané et du condensé superficiel d’information qui font sombrer les tentatives de présenter des idées, d’en déployer les nuances, d’en saisir les impacts. Les campagnes électorales en sont sans doute la démonstration la plus pitoyable. En un sens, les analystes sportifs ont plus de temps d’antenne pour décortiquer un match de hockey ordinaire qu’un candidat a de temps pour présenter les détails de son programme politique, lequel a le potentiel d’influencer les décisions d’un gouvernement pour les années à venir.

Alors si, comme moi, les discours creux vous désemparent et les formules qui ne veulent rien dire vous étourdissent, allez à la rencontre de ce qui donne du sens à votre présent. Allez voir des artistes. Allez rencontrer des œuvres. Vous allez voir, ça fait vraiment du bien.


Auteur/trice