Je suis née à Montréal d’une mère québécoise et d’un père hondurien venu ici par amour pour elleau milieu d’un hiver de sa mi-vingtaine, sans un mot de français en pochePapa est sans doute ce qu’on appelle un exemple d’intégration. Ancré dans le territoire régional depuis près de vingt ans, il travaille dans son domaine, parle couramment français, a su s’entourer d’un réseau social diversifié sans jamais se sentir lésé par son accent ou la couleur de sa peauJe crois qu’il s’est toujours senti accueilli avec respect et qu’il se positionne en fier représentant de son territoire d’adoption. Grandissant aux côtés de ce père au parcours plutôt enviable, voire romantique, j’ai longtemps cultivé l’image de ma province et de ma région comme de terres d’accueil rêvées, et de l’immigration comme une réalité aux défis certes bien réels, mais qui, au bout du compte, apportait surtout le bonheur d’une vie occidentale confortable.  

 

Ma perception a changéévidemment, à mesure que m’ont été présentés des motifs d’immigration différents, le concept bien réel de racisme systémique ou encore, le sentiment vécu par plusieurs de n’être finalement chez soi nulle part. J’ai aussi compris que ma région n’était pas toujours aussi douce que je voulais le croire envers ses nouveaux habitants.  

 

En 2019, cinq diagnostics territoriaux en matière d’attraction et de rétention des personnes immigrantes ont été réalisés dans les MRC de l’Abitibi-Témiscamingue par des organismes mandatés par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). Dans une synthèse des résultats de ces enquêtes publiée par l’Observatoire de l’Abitibi-Témiscamingue, on apprend que malgré certaines qualités indéniables accordées par les immigrants à la région (qualité de vie, grands espaces, gentillesse des citoyens à leur égard, entre autres), de nombreuses difficultés sont aussi soulevées. On compte parmi celles-ci l’accès au logement limité par des coûts élevés et des réactions parfois discriminatoires, ou encore l’accès difficile au transport dans un milieu sans réseau efficient de transport en commun, et où le coût des déplacements interurbains demeure très élevé. Il est aussi question des télécommunications, dont le coût et la qualité, en milieu rural, sont inversement proportionnels. Pour les personnes immigrantes, l’accès aux télécommunications revêt une importance supplémentaire, celles-ci représentant « souvent le “pont” entre ici et leur famille, qu’elle soit dans les grands centres ou dans leur pays d’origine ». Alors qu’on apprenait récemment que la CAQ ne serait pas en mesure de tenir sa promesse de rendre accessible internet haute vitesse à l’ensemble des Québécois d’ici 2022, cet enjeu apparaît plus qu’actuel.

 

Parlons-en de la CAQ qui, depuis son arrivée au gouvernement, a fait adopter nombre de lois teintées par un nationalisme identitaire sans concession et une politique migratoire à la clé selon les besoins économiques de la province. En Abitibi-Témiscamingue, le projet de réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) a eu une résonnance particulière. Ce programme, qui permet entre autres à des étudiants internationaux de recevoir rapidement un certificat de sélection du Québec (CSQ) pour obtenir la résidence permanente, avait été révisé par le MIFI pour ne devenir accessible que dans le cadre de programmes d’étude correspondant aux besoins de main-d’œuvre actuels. Denis Martel, recteur de l’UQAT, qui compte chaque année sur l’inscription de nombreux étudiants étrangers, s’était inquiété que plusieurs des programmes offerts par son université ne figurent pas sur cette liste, dont la pertinence a été décriée par les milieux concernés. Si, depuis, la réforme du PEQ a été révisée, poussant malgré tout un doctorant de l’UQAT à quitter le Québec, le fiasco de la première mouture et les impacts de la deuxième reflètent quand même un certain manque de considération pour les candidats au PEQ, mais aussi pour les réalités régionales. 

 

Au-delà de l’idéologie prônée, avec laquelle on peut, somme toute, être en accord ou non, plusieurs situations problématiques relevant du manque de rigueur ont été soulevées par le Vérificateur général (VG) auprès du MIFI. En effet, dans le rapport 2019-2020 du VG, il est indiqué, entre autres, que le MIFI a égaré des documents dûment expédiés par des candidats à l’immigration pour l’obtention du CSQ. Le Ministère a ainsi rejeté certains dossiers malgré l’existence d’une preuve de la réception des documents

 

Tout cela est loin d’aller dans le sens d’une réelle volonté d’intégration et de reconnaissance de l’apport des populations immigrantes au développement de notre province. La CAQ a fait campagne en habillant sa politique migratoire du slogan « On en prend moins, mais on en prend soin ». Pourtant, les derniers mois ont révélé des inégalités criantes entre les strates sociales de notre société, les personnes au statut économique précaire étant davantage exposées au coronavirus et à ses conséquences. Surprise, les personnes immigrantes et racisées sont surreprésentées dans ces situationsEt au moment d’écrire ces lignes, M. Legault refuse encore de parler de racisme systémique. 

 

Dans un contexte où les politiques sur l’immigration semblent motivées par la satisfaction d’une idéologie néo-libérale bien enracinée et des visées électorales, plus que par un souci d’humanité et de bien-être pour les populations de toutes origines, il apparaît essentiel de se rappeler l’importance de l’ouverture à l’autre et la richesse de chaque culture. Il sera question dans ce journal d’initiatives novatrices, d’organismes dévoués, de personnes immigrantes impliquées dans leur milieu, de tous ces éléments qui nous donnent la conviction que l’Abitibi-Témiscamingue et le Québec peuvent être des milieux d’accueil empreints de chaleur et de tolérance. Si nous avons raison d’être fiers de tous ces éléments, il ne faudra tout de même pas oublier, dans les prochaines années, le chemin à conserver et à parcourir encore, les yeux et le cœur grands ouverts.