Bon, y’en a marre, comme on dit. La quantité d’inepties qui circulent au sujet de la pandémie, du virus, et des supposés dirigeants pédosatanistes qui assurent une mainmise sur nous; tout ça dépasse l’entendement! 

 

Certes, nous accordons collectivement beaucoup trop d’attention aux complotistes, anti-masques et autres soi-disant covidiotiesje vais donc profiter de cette tribune pour tenter de postuler que nous avons perdu de vue certains questionnements de base : que tente-t-on de faire avec la gestion publique de la crise sanitaire, comment souhaitons-nous traverser cette crise en tant que société, et pourquoi? Ces questions ont été reléguées en arrière-plan, et cela permet à des discours absolument surréalistes de prendre beaucoup trop d’espace médiatique. 

 

Je crois qu’il serait temps pour les discours médiatiques, ainsi que pour les communications officielles de la part des autorités, de revenir aux fondementsRappelons-nous ce qui déterminait l’essentiel des préoccupations de l’hiver dernier : l’importance daplatir la courbe de la transmission. Pourquoi? Pour protéger notre système de santé. Cet objectif devrait encore et toujours être notre priorité absolue puisque notre système de santé et services sociaux, c’est un des principaux piliers de notre société.  

 

On a d’ailleurs pu voir des mèmes circuler à ce sujet récemment, au sein desquels on peut lire l’affirmation suivante : le premier signe d’une civilisation dans l’histoire serait non pas la maîtrise du feu ou la fabrication d’outils, mais un fémur cassé et guéri. Ce fémur guéri représente la preuve de la passation d’un état sauvage et instinctuel à la civilisation telle que nous la connaissons. Le fondement de toute civilisation passerait donc, selon cette argumentation, par la capacité de l’humain à aider ses semblables. Cette idée fort intéressante est attribuée à l’anthropologue Margaret Mead, et conserve tout son intérêt dans le contexte actuel : la civilisation est définie par la capacité d’aider et de soigner ceux qui en ont besoin. Là résiderait l’essentiel de ce qui nous distingue d’un état plus primitif, naturel et chaotique. C’est ce qui doit être protégé : notre capacité à soigner ceux qui en ont besoin. Éviter le fiasco humanitaire vu dans certains pays, notamment l’Italie. Au Québec, notre système de santé et services sociaux est déjà plutôt affaibli par des années de politiques néolibérales qui ont culminé avec une vague d’austérité à la pertinence hautement discutable. Notre priorité actuelle devrait être de tout faire pour éviter que ce système ne s’effondre; il en va de notre devoir collectif. Car c’est ce système de santé et services sociaux qui constitue le principal pilier de notre civilisation.  

 

Contrairement à ce qui émane de certaines sphères socionumériques, notamment, cette civilisation n’est pas définie par la liberté de porter un masque ou non quand on va acheter du Kraft Dinner au Walmart. D’ailleurs, la liberté deviendrait un concept plutôt abstrait dans l’éventualité où notre système de santé s’effondrerait, avec tout le chaos que cela impliquerait. Ici, j’insiste : notre liberté n’est pas plus mise à mal par l’obligation de porter un masque quelques dizaines de minutes en faisant nos emplettes qu’elle ne l’est par l’obligation d’être à jeun lorsqu’on prend le volant. Dans les deux cas, on se protège, certes, mais on protège surtout les autres. C’est cette préoccupation pour l’Autre qui est à la base d’une civilisation; c’est ce qui distingue l’état civilisé de l’état sauvage.  

 

Nous avons perdu de vue cette préoccupation. L’individualisme rampant est sans doute à blâmer. Les médias aussi, par ailleurs. Ces derniers amplifient le cynisme ambiant en grossissant des faits divers et en nous éloignant de l’essentiel de l’information. Parler uniquement du nombre de morts au lieu des nombreux autres qui s’en sortent, mais avec des séquelles peu enviables, fait partie du problème. L’information rapportée aussi. Le sensationnalisme surtout. Il est donc grand temps de recentrer certains discours et de dénoncer les nombreuses incongruités qui peuplent le paysage médiatique actuel.  

 

Et il faudrait sans doute mieux nuancer les prises de position sur les médias socionumériques. Comparer l’obligation de port du masque à une forme de dictature autoritaire, c’est carrément grotesque; d’ailleurs, avoir la liberté de tenir une telle affirmation hallucinante, c’est ce qui définit la liberté, et c’est ce qui confirme que justement : non, nous ne sommes pas dans une « dictature ». Nous sommes dans une société libre, mais il semble que les responsabilités collectives qui garantissent nos libertés individuelles ont été perdues de vue.  

 

Il serait temps de les retrouver. 


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