Au plus fort de la mise sur pause de l’économie québécoise, en mars et avril dernier, 650 000 personnes ont eu recours aux banques alimentaires. Cette effarante statistique, jumelée aux données sur la santé mentale des populations vulnérables, m’avait amené à écrire ma dernière chronique sur le coup d’une certaine émotion : l’impression soudaine et malaisante que la faim était en voie de devenir un problème endémique chez nous, en notre terre de richesses.
Je me permets ici de revenir de façon plus posée sur la question de l’autonomie, de la sécurité ou encore, si vous le préférez, de la souveraineté alimentaire. Il y a des différences importantes entre ces trois concepts, mais disons que la vaste question de l’alimentation ne fait pas consensus chez nous, faute de vision commune, d’une gouvernance unifiée. Pour certains, l’enjeu sera économique, alors qu’à l’autre bout du spectre, il s’agirait d’un projet politique. Mais qui sont ces acteurs aux vues si différentes sur l’enjeu de l’alimentation?
La meilleure réponse que j’ai pu débusquer provient de l’organisme Vivre en ville, qui a préparé une réponse stratégique, actuellement en implantation dans différents territoires du Québec (sauf en Abitibi-Témiscamingue pour le moment).
Bien sûr, chez Vivre en ville comme ailleurs, la production animale ou végétale est perçue comme la base du cycle de l’alimentation. Suivent les transformateurs et les intervenants de la distribution. Toutefois, un système alimentaire durable, un SAD comme l’abrège Vivre en ville, commande que l’on complète le cycle ainsi : les consommateurs (renommés ici « mangeurs ») et finalement les recycleurs et le réseau de la revalorisation. En tout, une vingtaine d’intervenants incluant autant les transporteurs que les politiciens.
Jusqu’ici, vous vous dites probablement, où est l’innovation là-dedans? Voici. Le SAD, qui devrait mettre en mouvement l’ensemble des intervenants, tel que projeté par Vivre en ville, nous ramène à la base : le cycle de vie des aliments. Désarmant de simplicité, mais ô combien déstabilisant pour un monde habitué de labourer chacun dans son sillon! L’alimentation est vue actuellement par toutes sortes de lorgnettes complètement différentes, mais aucune des formes de gouvernance traditionnelle n’inscrit le cycle naturel des aliments comme base du processus.
L’image du silo, emblème de l’agriculture du 20e siècle, décrit très bien ce que la pandémie nous a permis de constater : par l’absence d’une vision commune, nous avons développé des vulnérabilités tout aussi différentes, qu’il s’agisse de la main-d’œuvre agricole ou du coût du panier d’épicerie.
Vivre en ville a nommé sa stratégie pour un système alimentaire durable Territoires nourriciers. En ce moment, des villes, des villages et des MRC ont amorcé la mise en place d’un réseau collaboratif de ce type organisé autour d’un SAD. Mais l’impulsion pour un tel mouvement requiert que les décideurs politiques de tous paliers et les entreprises acceptent de se mettre à table avec les citoyens et citoyennes afin qu’une vision territoriale se développe en matière d’alimentation.
Il me semble que nous ne sommes plus très loin d’une telle mobilisation citoyenne, à voir le foisonnement des forums d’échanges sur lesquels les éleveurs de poules et jardiniers urbains s’échangent des trucs et savoirs sur leurs productions artisanales. Sachez aussi que 30 % de ce que nous mangeons est fait d’aliments surtransformés, tout simplement parce que nous ne tenons pas en compte la durée de vie réelle de la nourriture. Planifier ne fait pas pousser les radis. Mais comme le disait un grand stratège : planifier, c’est s’éduquer.
Et au risque d’avoir l’air soviétisant, je dirais qu’il faut planifier impérativement selon le cycle de vie des aliments et la capacité de nos territoires à y contribuer de façon durable. Cela permettrait de faire nos classes aussi sur les enjeux de protection du territoire agricole, l’étalement urbain, la précarité alimentaire des plus démunis.
Serons-nous, en 2020, sur le chemin de l’autonomie alimentaire? Jours ensoleillés et vallées verdoyantes?
Je renoue avec une vieille habitude prise dans mes plus anciennes chroniques. Je vous invite à agrémenter votre lecture d’un peu de musique de circosntance :
S’il est un artiste qui s’est battu pour une agriculture de proximité au lieu des fermes usines c’est bien Neil Young, co-initiateur du Farm Aid . Retour aux racines avec l’édition de l’album fantôme de 1973, Homegrown
Sources:
https://unpointcinq.ca/alimentation/municipalites-nourricieres-mange-ta-ville/?utm_source=UMQ&utm_medium=carrefourmunicipal&utm_campaign=partenariat