Sans télescope et sans pleine lune, il était visible et tangible le cosmos durant cet entretien avec Monsieur Saturne. Il est étonnant de sagesse et de maturité, ce Gabriel Poirier-Lemoine, nouvel ambassadeur dans notre galaxie d’artistes abitibiens.
Né à Val-d’Or d’une mère qui aimait le chant et d’un père curieux de musique, et admiratif d’un grand frère mélomane à qui il volait ses guitares, il a pris son temps afin de créer son propre univers. Le déclic s’est précisé à l’adolescence. C’est par l’improvisation que son monde intérieur s’est exprimé et qu’il a enfin osé s’avouer qu’il avait envie de créer et de sortir de sa coquille. Enfant lunatique, héros de ses propres scénarios inspirés du Seigneur des anneaux, c’est par sa volonté et sa force tranquille qu’il a bien su jouer ses billes.
C’est avec le collectif musical Nanochrome qu’il remporte le prix Vitrine de la relève au Festival de la relève indépendante musicale en Abitibi-Témiscamingue (FRIMAT) en 2014. S’ensuit une tournée régionale qui lui donne le droit de croire à sa bonne étoile. Le jeune homme a fait ses devoirs. Il a exploré les listes d’anciens étudiants de l’École nationale de la chanson de Granby. Du parcours de Lisa Leblanc, Salomé Leclerc et Damien Robitaille, brochette éclectique s’il en est, il a été soulagé de voir qu’il ne serait surtout pas formaté. De cette expérience, il retient la rigueur et la conviction de ne jamais céder à la facilité. Son professeur Robert Léger (Beau Dommage) lui a permis de croire à sa singularité et à cet univers qui l’habitait.Pendant cette période, il fait la rencontre de l’auteure-compositrice-interprète Alizée Calza. Les deux comparses ouvriront enfin leurs ailes. Pour être toujours maîtres de leur musique, ils se lancent dans le sociofinancement.
En digne Abitibien, il suivait sans le savoir le chemin défriché depuis longtemps par Richard Desjardins. Sur Indiegogo, Alizée et lui ont réussi à financer la production de leurs albums. Monsieur Saturne m’a fait le cadeau de trois chansons à paraître. Il est vraiment dans l’air du temps, ce jeune homme très sage et témoin de sa génération. Dans la chanson Mes bad trips, il avoue : « J’ai de l’ambition, sans détermination. J’ai brulé mes ailes et j’attends des nouvelles de la fin du monde. » Sa voix est éthérée, remplissant l’espace, propageant de la lumière et même souvent un murmure, mais elle en impose par la droiture envers ce qu’elle exprime. Dans Tu t’en fais trop, il clame : « Épuisé de penser, effrayer les démons sur tes épaules, épuisé de ne plus penser clairement. » Il sait nous ramener à nos propres tourments. Sur À double tour, une phrase magique que Baudelaire aurait sûrement jalousée : « Les cheveux dans les yeux, le noir pour seul symbole. » Gabriel ne le savait pas, mais la planète Saturne est surnommée par les astronomes la planète du Seigneur des anneaux. Comme quoi il est devenu le metteur en scène de sa vie.
Le premier album solo de Monsieur Saturne, La peur du noir, paraîtra en octobre.