« Houston, we have a problem. »
Cette phrase iconique, prononcée par l’équipage d’Apollo 13 après la découverte d’un problème majeur en cours de vol, a été adoptée par notre culture populaire; elle permet à son usager de signaler à son interlocuteur un problème précédemment ignoré.
Dans le cadre d’un été mouvementé, en plein contexte pandémique, où nous avons notamment vu émerger un débat sur l’existence du racisme systémique, un énième mouvement de dénonciations liées à des agressions de nature sexuelle est venu rajouter de l’huile sur les braises d’un contexte social déjà intense. Le débat sur la présence ou non d’une « culture du viol » connaît les mêmes dérapages que celui sur la discrimination systémique; et le rôle des médias à grand tirage – avec le culte qu’ils vouent à l’opinion chroniquée – demeure tout aussi problématique.
Cela m’amène à vouloir crier très fort : « Houston, we have a problem! » Nous avons un problème parce que, comme c’était le cas avec la discrimination systémique, nous nous campons dans une réaction « d’urticaire sociale » face à un terme qui, visiblement, demeure entièrement incompris. Affirmer l’existence de la culture du viol n’est absolument pas une accusation pouvant se traduire par « Notre culture a pour but de former des violeurs ». Par contre, notre culture est fondée sur des iniquités de sexe et de genre pouvant favoriser un comportement d’agression en raison d’une interaction complexe entre plusieurs facteurs, allant du pouvoir politique à la représentation du désir dans nos médias narratifs.
Nous avons un problème parce que, encore une fois, une équipe de chroniqueurs blancs, aisés et majoritairement masculins tente par tous les moyens possibles de nier l’existence même de ce qu’ils participent à promouvoir. Pour ceux qui douteraient de cette affirmation, je vous invite cordialement à lire les nombreuses invectives particulièrement agressives de Richard Martineau (et de sa conjointe Sophie Durocher) à l’endroit de la professeure Martine Delvaux, du département d’études littéraires de l’UQAM, qui s’acharne à répondre à chaque sortie de la professeure par le biais d’un seul argument : elle est une féministe frustrée. Pourtant essayiste féministe percutante et articulée, Mme Delvaux publie régulièrement sur des éléments participant à l’inégalité insidieuse qui persiste dans notre culture; aux yeux des lecteurs moindrement critiques, les réponses chroniquées de ces deux « journalistes » ne font que renforcer la posture de Mme Delvaux. Ici, les médias de Québecor ne prennent manifestement pas au sérieux leur responsabilité sociale, ne serait-ce que par la présentation de points de vue multiples et nuancés plutôt qu’un bloc monolithique de déni systématique de tout ce qui doit être remis en question.
Nous avons un problème parce que les réponses les plus répandues sur les médias socionumériques, en lien avec la plus récente vague de dénonciation, évitent scrupuleusement le problème pour mieux le perpétuer. Je pense notamment aux réactions lors de la dénonciation effectuée par Safia Nolin : en affirmant haut et fort qu’elle ne correspond pas aux standards et aux canons de beauté esthétiques promus par notre culture, et donc qu’il est impossible qu’elle ait été victime d’agression, on banalise et perpétue le problème. C’est d’une gravité impressionnante, et pourtant c’est un discours extrêmement répandu. J’ai même vu, sur les médias socionumériques, une diatribe affirmant que la musique de Safia Nolin était à ce point déplaisante que c’était d’autant plus fatigant de l’entendre se plaindre d’agression à son endroit. Difficile de nier l’existence de la culture du viol devant de telles énormités!
Nous avons un problème parce que les productions culturelles populaires banalisent souvent, de façon insidieuse, une culture de l’agression. Je pense par exemple à un film comme It’s Complicated (Pas si simple en version française), mettant en vedette Alec Baldwin et Meryl Streep. Les deux acteurs incarnent un couple divorcé depuis plus d’une décennie qui se retrouve lors de la remise des diplômes d’un de leurs enfants. Soudainement retombé sous le charme de son ex-épouse, le personnage de Baldwin insistera sans arrêt pour renouer avec elle, et ce, malgré ses refus répétés. Comme dans quantité d’autres films populaires à l’eau de rose, on est en présence ici d’une normalisation de la culture de l’agression dans la mesure où ce qui ressort de cette trame narrative, c’est que dans le fond, la femme veut dire oui, et qu’il suffit d’être suffisamment insistant et convaincant. C’est un message extrêmement insidieux, présent dans le sous-texte, et malgré tout fort répandu au sein de notre culture populaire.
Bref, nous avons un problème. Et il faut en parler, pour une fois. Il faut résister aux nombreux appels au déni afin de s’attaquer aux racines du problème.
Et ça presse.