« Tu sais, ma fille, il y a un vol direct Tokyo-Montréal dimanche. C’est pas souvent que je fais ça, mais je vais te parler comme un père parle à sa fille : tu prends cet avion et tu reviens back à maison! »
Elle me répond tranquillement : « Ben, je pense que je vais rester à Tokyo au moins jusqu’en juillet. »
Estie, me dis-je en mon for intérieur, j’ai pas d’autorité.
« Pourquoi juillet? », l’interrogé-je.
« Ben, je sais pas quoi encore exactement, mais il se passe quelque chose de particulier en ce moment à Tokyo! Oui, les p’tites entreprises en arrachent, mais mes amis baristas sont tous en mode “on s’entraide”. Y’a les campagnes Campfire, les événements en ligne de discussion sur l’avenir de la restauration, des projets collaboration, un esprit communautaire. »
Elle en remet, la p’tite : « Y a des associations de commerces super le fun! Un gars s’est parti une compagnie de torréfaction. Y voulait travailler en collaboration avec nous, mais la COVID nous empêche de le faire, faque y s’est tourné vers un boulanger! Les deux gars se sont associés pis ils livrent des commandes de grains de café ET de pains frais à leurs clients! Ce genre de projet là existe parce que des crises comme celle qu’on vit, ça pousse les gens à être créatifs! »
« J’ai lu l’article du magazine Forbes que t’as publié sur Facebook. Penses-tu vraiment que les restos vont survivre? »
« Ben, tu sais papa, moi je pense que oui! Si on parle d’une autre industrie comme les vêtements ou le voyage, évidemment qu’il faudra attendre au moins un an avant un retour à la normale, mais la bouffe, le café, c’est indispensable, et encore plus parce qu’on a réussi à créer un lien d’amitié et de communauté entre les restaurateurs et la clientèle! Il est si fort ce lien, parfois, que ce sont les clients qui veulent tout faire pour que leur café de quartier ne ferme pas ses portes! »
Pendant que j’entends la voix de ma fille se mêler aux bruits du troisième niveau du métro de Tokyo, un loup passe sur le lac gelé, là, à ma fenêtre.
Je sors mes jumelles : tout seul, le loup. Il y a beaucoup trop de loups seuls ici.