C’est une aventure qui commence entre les pages des ouvrages de Serge Bouchard et de Marie-Christine Lévesque, Ils ont couru l’Amérique et Elles ont fait l’Amérique; une idée qui germe dans l’esprit de Patrice Dubois, directeur artistique et codirecteur général du Théâtre PÀP, à Montréal. Dans ces livres sur les personnages oubliés de la colonisation du continent, il voit matière à création, à réflexion sur notre mémoire collective et sur l’aveuglement qui la teinte. Pour créer cette œuvre, cependant, il faut sortir des grands centres et se livrer à un processus de création singulier. C’est ici qu’entre en scène le comédien rouyn-norandien Alexandre Castonguay, qui est invité à prendre part à l’écriture et à la distribution de la pièce.
UNE GRANDE TRAVERSÉE
Il fallait se mettre dans la peau de l’explorateur, découvrir le pays. En collaboration avec cinq théâtres francophones, Alexandre traverse le Canada, à la rencontre de citoyens de tous les horizons. L’idée est simple : on s’assoie ensemble pour discuter des livres, d’histoire, de mémoire, de territoire. Alexandre voit alors les frontières se déplacer, ses certitudes remises en doute et son humilité mise à l’épreuve. « C’est un show sur la mémoire qui est devenu un show sur l’ignorance », dit-il.
CONJUGAISON DES TEMPS
Si, au départ, l’œuvre doit être façonnée par le passé, Patrice et Alexandre comprennent vite que le présent a son mot à dire. Alors que le débat sur l’appropriation culturelle s’impose, que les femmes autochtones assassinées et disparues font l’objet de reportages et de commissions parlementaires, un point de vue neuf et distinct devient nécessaire. Soleil Launière, artiste multidisciplinaire innue, se joint alors au projet. « C’est Soleil qui incarne le temps présent, c’est elle qui parle de Sindy, qui lit les poèmes de Virginia ». En effet, entre les personnages historiques, on aborde la disparition de Sindy Ruperthouse, à travers des poèmes de la poète crie Virginia Pésémapéo Bordeleau.
DU VOYAGE À LA SCÈNE
Sur scène, Courir l’Amérique est une pièce aux récits et aux influences multiples. À travers l’histoire de ces Étienne Brûlé, de ces Shanawdithit, Alexandre raconte un épisode de sa vie, une tumeur au cerveau apparue à l’âge de 17 ans et sa guérison à propos de laquelle il remet en cause le récit qu’on lui a fait. On pose des questions sans donner de réponses. Ce sont des pistes pour réfléchir, pour déranger notre confort; on fait place à la performance, au mouvement, à l’art numérique.
Au milieu de la scène, un bloc de terre d’abord cloisonné, qu’on libère pour se mettre les mains dedans, pour le défaire à l’image de l’histoire dans laquelle on replonge pour la libérer, la remettre en question, en défaire les contours.
C’est une aventure qui aura été interrompue abruptement à la mi-mars, le Théâtre de Quat’sous ayant annulé ses représentations en raison de la COVID-19. Mais peu importe comment se dessinera la suite des choses, on peut croire qu’il s’agissait, pour Alexandre Castonguay, d’une autre grande traversée.