Depuis le début de sa carrière, Jessy Poulin s’intéresse aux femmes, à leurs conditions de vie, à leur place dans la société. 12 jours, son prochain court métrage, sera son projet le plus personnel, le plus émotif et sans doute le plus difficile. La mère de Jessy est décédée du cancer en 2018 et la cinéaste a choisi de parler de ce qu’elle a vécu à ce moment-là. À l’aide de statuts Facebook qu’elle a publiés à l’époque afin d’informer la famille et les amis de l’évolution de la maladie, elle a construit un scénario qui relève à la fois du documentaire et de la fiction.
Son premier défi est, selon elle, « de rendre beau ce qui ne l’est pas ». Car le décès de sa mère ne lui est pas apparu, a priori, comme une belle chose. Il y avait, bien sûr, la dégradation physique, mais également le système de santé contre lequel Jessy avait parfois l’impression de se battre sans arrêt.
En fait, c’est la réaction des gens face à ces statuts qui ont aiguillé Jessy. « L’idée d’en faire un film est sortie quasiment au salon funéraire. Les gens du milieu artistique qui me rencontraient dans les jours et les semaines suivantes me disaient tous qu’ils suivaient mes statuts Facebook comme on regarde une émission de télé quotidienne. »
En transposant son expérience en récit facebookien, Jessy avait déjà entamé une mise en forme narrative. D’abord conçu comme un documentaire, le projet évolue de plus en plus vers la fiction; surtout depuis le travail entamé avec sa productrice, Mélissa Major.
La démarche cinématographique de Jessy Poulin s’inscrit dans un voyage vers soi, d’abord avec Batwheel : une web-série sur une jeune femme en fauteuil roulant se posant en superhéroïne dénonçant le quotidien des personnes handicapées.
En 2018, lors de sa participation au programme Projet 5 courts de l’ONF, avec un film sur la charge mentale, Jessy va aller dans des zones plus personnelles. Mère de famille et travailleuse, elle parlait, à travers le vécu de quatre personnages, de son rapport à la conciliation travail/famille. À la fois fiction et documentaire, le film mélangeait les genres pour rendre compte de cette réalité.
Jessy Poulin a pris le parti de parler d’elle, de son vécu, et ce, dans une démarche fondamentalement artistique.
Est-ce que c’est un cinéma féminin? Poser cette question est dangereux parce qu’elle sous-entend que le cinéma produit par les femmes appartient à un sous-genre; cela l’empêche de faire partie de la grande famille du cinéma en général et marginalise le discours féminin.
Nous n’irons donc pas dans cette direction. Au fur et à mesure que Jessy avance dans sa démarche, le propos intime se précise pour devenir non pas nécessairement de l’autofiction, mais un discours universel d’un point de vue intime. La mort fait partie de la vie et personne n’y échappera. Notre première expérience avec celle-ci est celle des autres; elle va tenter d’y plonger avec courage, sans fausse pudeur. La mort de la mère est quelque chose d’important : c’est notre chair après tout. Et c’est une expérience humainement universelle.