C’est au Centre d’exposition d’Amos que vous pourrez apprécier, jusqu’au 8 mars 2020, les plus récentes créations de l’artiste en arts visuels Chantale Girard. Originaire de Jonquière, Mme Girard a adopté Rouyn-Noranda comme territoire il y a 25 ans. En plus de sa pratique artistique, elle enseigne le cinéma depuis 1997.

Nous avons eu l’occasion de suivre l’évolution de son travail à travers différentes expositions solos, dont plusieurs ont été présentées à Amos (en 1998, 2005 et 2010), mais également dans différentes expositions collectives, notamment à L’Écart. On se souvient entre autres de la très saisissante et magistrale œuvre composée de plus de 800 miniatures, Toutes blessent, la dernière tue.

Quelques constantes thématiques ponctuent le parcours de l’artiste : l’engagement, le féminisme et le politique qui pèsent sur l’image de cette femme archétypale et dominée par une société hétérosexuelle patriarcale. Des constantes formelles aussi : le travail avec des matières contemporaines et actuelles (photos de magazine, tablette graphique, vernis à ongles, etc.), la présence d’écriture sur les œuvres et une trace marquée, une présence assumée et engagée de son travail d’artiste et de femme. La sérialité et l’idée de l’accumulation d’un même syntagme se retrouvent aussi dans ces compositions fortes et éclatantes, à la fois soignées et abruptes. Comme si la répétition d’une même image que l’on reçoit ad nauseam termine par avoir le dessus sur notre identité et notre unicité. On sent que, pour l’artiste, la prise de parole est fondamentale dans un monde où l’on objective encore trop souvent les femmes, où les voir, les connaître et les reconnaître ne semble pas encore nécessaire.

Le Centre d’exposition d’Amos propose donc deux salles qui se répondent et s’opposent l’une et l’autre, et où sont regroupées une vingtaine d’œuvres. Dans une salle, des photos collées au mur présentant un travail élaboré à l’aide d’une tablette graphique. Des grands formats colorés et lisses avec des aplats de couleurs variées présentant des corps d’où émergent des mots syncopés. Dans l’autre, des panneaux de bois où l’on peut apprécier les couches de peinture et la trace plus urgente des mots qui accompagnent les silhouettes austères, monochromes et impersonnelles des corps de femmes.

SANS QUEUE NI TÊTE 

 

Une première salle offre « un discours sur la femme, sa forte présence physique jumelée à un anonymat social et historique. Elles sont là, mais ce ne sont que des silhouettes qui passent dans le champ social et dans le discours historique. Elles sont là sans vraiment y être. » En résulte un tableau saisissant : bien que le travail soit magnifique, la réalité qu’il présente l’est un peu moins. Girard nous rappelle ici que rien n’est jamais acquis et que trop souvent, on n’entend ni notre parole ni notre silence.

NI VUES NI CONNUES

 

Sur cette partie de la double exposition, l’artiste présente ainsi son travail : « Après presque dix ans de création numérique (utilisation du iPad aux fins de création), j’ai décidé de revenir aux sources de ma création. D’abord avec l’utilisation de manière beaucoup plus manifeste de l’écrit. Il occupe maintenant une grande partie de l’image. Contrairement à ma production précédente (Sans queue ni tête), au lieu de proposer un univers fictionnel et improbable, l’écrit est très personnel, parle de mes sentiments, mes idées, mes opinions. Cependant, toute la question de ces écrits est leur lisibilité. Il est important pour moi qu’ils aient un contenu signifiant, mais que ce dernier ne soit pas nécessairement accessible au lecteur. C’est l’aspect pictural de l’écrit qui m’intéresse. J’inscris dans ce “champ scriptural” une silhouette féminine, en marche généralement, une silhouette noire, anonyme, présente, mais “ni vue ni connue”. Après des années de création virtuelle, ce retour à la matière est pour moi une expérience jouissive. »

Et c’est aussi très jouissif que de déambuler d’une salle à l’autre afin de rassembler ces femmes tantôt variées et colorées, tantôt plus sombres et texturée, mais toujours pertinentes et cohérentes. L’admirable travail de Chantale Girard vaut le détour.

À noter qu’il y aura un événement spécial lors de la dernière journée de l’exposition qui se tiendra à l’occasion de la journée internationale des femmes le 8 mars.


Auteur/trice

Artiste multidisciplinaire et cinéaste indépendante, Béatriz Mediavilla est née en 1972 à Rouyn-Noranda, où elle demeure toujours. Détentrice d’un baccalauréat et d’une maîtrise en études cinématographiques, elle enseigne le cinéma au Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue. Parallèlement, elle a notamment réalisé l’ouvrage collectif multidisciplinaire Ce qu’il en reste : dialogue artistique sur la mort (2009), et a publié Des Espagnols à Palmarolle dans Nouvelles Explorations (2010) et dans Contes, légendes et récits de l’Abitibi-Témiscamingue (2011). Elle a également publié Entre les heures dans Rouyn-Noranda Littéraire (2013). Danse avec elles, son premier long métrage documentaire a connu une belle réception et a été présenté dans différents festivals, entre autres, à Montréal, Québec, Toronto et Vancouver, mais aussi La Havane et New York. Son deuxième long métrage, Habiter le mouvement, un récit en dix chapitres, a aussi été présenté dans plusieurs festivals dans le monde. Il a remporté entre autres, le prix du meilleur documentaire de danse au Fine Art Film Festival en Californie, meilleur long métrage documentaire au Utah dance film festival et le prix de la meilleure oeuvre canadienne au festival International du Film sur l’Art de Montréal. Son plus récent court métrage Axiomata, a aussi été sélectionné dans différents festivals à travers le monde.