« Si l’année 2019 a été décrétée année internationale des langues autochtones, c’est qu’il y a une problématique et que cela confirme que la langue est un enjeu majeur qui mérite notre attention et pour lequel nous devons tous travailler ensemble », déclare Caroline Lemire, directrice de Minwashin.

Cet organisme, qui travaille pour les arts et la culture anicinabek en Abitibi-Témiscamingue a mis en place d’importantes initiatives au cours de l’année 2019 pour souligner cet événement. « Ce n’est pas seulement une année que ça prendrait, ajoute-t-elle, mais une décennie. Je suis d’ailleurs ravie que l’ONU déclare en l’année 2022 la décennie dédiée aux langues autochtones. C’est une façon de démontrer que cela nécessite du temps puisque la revitalisation des langues est un enjeu complexe. »

Mme Lemire précise que la mobilisation régionale a commencé tôt en janvier 2019 avec l’envoi d’un calendrier dans différents organismes. « Ça faisait longtemps qu’on préparait l’année internationale », confie-t-elle. Par la suite, en février, Minwashin a lancé à Lac-Simon l’initiative Anicinabemodan, parlons Anicinabe. Cette trousse, également distribuée à différents organismes de la région, invite la population à se familiariser avec la langue anicinabe et propose une dizaine de gestes pour ce faire. Puis, il y a eu les pow-wow à l’été et l’événement Miaja à l’automne.

Le grand rassemblement Miaja qui s’est tenu les 12 et 13 septembre à Kebaowek réunissait des représentants de neuf communautés. Ceux-ci étaient invités à réfléchir ensemble aux enjeux relatifs à la langue anicinabe. Quelque 300 personnes, dont des linguistes, étaient présentes. Par la suite, un rapport a été rédigé et celui-ci sera envoyé à l’ensemble des communautés et organismes régionaux. Parmi les conclusions de ce rapport, on note l’idée de faire une décennie, et pas seulement une année, des langues autochtones. Mme Lemire souligne aussi l’importance de ne pas laisser aux Autochtones seuls la responsabilité de la revitalisation de la langue anicinabe. Celle-ci doit être partagée avec les allochtones, les maires et les élus, par exemple. Dans le rapport, on recommande aussi d’augmenter la présence de la langue anicinabe dans l’espace public de différentes façons. On suggère ainsi d’installer des panneaux de signalisation bilingues sur tout le territoire et de revisiter la toponymie pour désigner les lieux en fonction de leurs noms anicinabek d’origine.

« Les années internationales nous donnent envie de faire des actions », résume Caroline Lemire. Ainsi Pikogan tiendra en février un colloque de réflexion sur la langue pour sa communauté.

Pour Richard Kistabish, président de Minwashin, si l’année internationale des langues autochtones a permis de faire connaître les enjeux relatifs à la revitalisation des langues autochtones, beaucoup de travail reste à faire. « Ça nous a rendus visibles, mais on a vu dans quel état notre langue était actuellement. Notre langue est en train de mourir, déplore M. Kistabish. L’année a passé comme du beurre dans la poêle. Pour parler de la langue, il faut parler de l’histoire. Pendant des années, [l’usage de la langue anicinabe] était défendu. Si tu le faisais, on te tirait dessus. Si tu parlais ta langue dans les écoles, on te battait. Je me suis caché pour la parler. On est devenus des grands brûlés de l’âme. J’ai décidé de devenir partenaire, je vais aider les jeunes à apprendre. »

Apprendre, c’est ce dont il est question dans une émission de TVC9 sur les langues autochtones de la série Ninawit, réalisée en 2019. À travers différents témoignages d’Anicinabek, on y apprend que la langue est une tradition orale, qu’on est fier de la parler, qu’on ne se sent pas pareil lorsqu’on parle en anicinabe que lorsqu’on parle en français. On y rencontre des Anicinabek qui travaillent fort pour transmettre leur langue aux enfants.

Maintenant que l’année internationale des langues autochtones est passée, il reste à s’assurer que le travail effectué en 2019 ne tombe pas dans l’oubli. L’annonce de l’ONU d’une décennie internationale des langues autochtones dès 2022 s’inscrit en ce sens. Tout comme l’a dit l’UNESCO en 2019, « à travers les langues, les gens participent non seulement à leur histoire, leurs traditions, leur mémoire, leur mode de pensée, leurs significations et leurs expressions uniques, mais plus important encore, à travers leur langue les gens construisent leur avenir ».


Auteur/trice

Michèle Paquette est retraitée de l’enseignement des sciences naturelles au niveau collégial. Elle écrit dans L’Indice bohémien depuis 2013. Elle habite en Abitibi-Témiscamingue depuis 2006. Elle a vécu sur la Côte-Nord où elle s’est occupée d’environnement. Ici, elle s’intéresse tout particulièrement à la culture abitibienne.