Baie-James, sur un terrain de plantation d’arbres. Au petit matin, de minuscules champignons blancs font briller le sol. Le son est étouffé par la bruine qui retombe lentement sur la mousse fraîche. La forêt murmure. Ça sent le thé du labrador et la terre noire. À la lisière de la forêt mature, l’écorce des épinettes devient rougeâtre, puis orangée. Un moineau vole entre deux souches dans le respect des règles de l’art, sans faire de bruit. Tout le reste est immobile.
Écouter de la musique serait une offense au silence des bois, surtout lorsque le paysage du Nord vous inspire le black métal norvégien. Le terrain est beau, il donne même des frissons. Un vrai plancton sait apprécier ce genre de choses, c’est important. Le ciel dit qu’il fera chaud avec un beau soleil réconfortant. Le vent ne dit pas grand-chose et souffle une brise timide. Les petites pousses d’épinettes s’accumulent rapidement derrière. Je suis un gigaplancton. Ce sera une belle journée à vivre, à suer comme une bête, à respirer de la terre et à faire la piastre en donnant un coup de main au végétal que d’autres ont presque anéanti. Sur une butte dégagée, on voit loin devant. Vivement la forêt. Mon mammifère intérieur est content.
La semaine d’après, les terrains ressemblent à des restes de forêts tropicales humides. Au début, alors que je n’étais qu’un similiplancton, j’arrivais à peine à me déplacer dans ce genre d’environnement. Il n’y avait rien à comprendre aux sillons tracés par les machines et les débris détruisaient mon corps. Ce sont toujours des temps difficiles lorsqu’il y a de l’aune de six pieds, de la glaise au sol et qu’il pleut à boire debout.
L’enthousiasme meurt en dedans alors que tout coule partout. Après quatre jours, l’autoflagellation devient routine. Des idées répétitives tournent et se retournent tellement dans mon coco qu’elles me bousillent en entier. Un ours rôde dans les parages. Des sifflets se font entendre. Je pense à ce mot en trop que j’ai dit à ma mère alors que j’avais seize ans : je ne me le suis jamais pardonné. Des vies que je ne vivrai pas se succèdent. Je me découvre des talents de scénariste : la nouvelle qui travaille au bar avec moi, j’aurais dû lui parler pour de bon. Lui dire quelque chose, n’importe quoi. Pourquoi pas toaster? On aurait pu aller en vacances ensemble, puis avoir des enfants. Non, il n’y a plus rien à dire. Tout est vain. Je suis né pour rien et je vais crever dans l’indifférence du monde, tôt ou tard. De la folie. Il faut que ça cesse : je vais me faire interner en psychiatrie à la fin de l’été, c’est décidé. Mais avant, la journée se termine. Enfin, je vais au chemin attendre le transport pour le camp. Une grande échalote s’extirpe de la jungle : mon frère. Les vêtements en loques, il a l’air d’un mendiant qui se serait battu avec un tigre dans la boue. J’ai aussi une sale gueule. Il va se remettre à fumer la cigarette, qu’il dit, pas le choix. Très très drôle, la vie. Dans le transport, tout le monde est mort de rire en racontant sa journée de merde. Tout est oublié.
Le soir, dans un songe qui ne m’appartenait pas, j’ai vu l’ours. Debout, il était grandiose et fier comme un roi. « Ça va prendre plus d’arbres » qu’il a dit d’une voix caverneuse. Le grand patron était venu nous encourager.