Les propos rassemblés dans ce texte sont issus d’un échange entre l’auteur et Marc Nantel, porte-parole du Regroupement vigilance mines de l’Abitibi et du Témiscamingue (REVIMAT), au sujet des modes de financement des organisations culturelles.

Alors que la période des festivals est bien entamée, il apparaît important de prendre du recul pour mieux saisir les tenants et aboutissants du régime de financement de ces événements par la commandite. Ce sont des activités organisées par la population et elles nous donnent l’occasion de nous forger une identité comme peuple.

Pour Marc Nantel, les principaux bailleurs de fonds devraient être nos différents paliers gouvernementaux qui ont le rôle de redistribuer l’argent de la collectivité. Cependant, depuis plusieurs décennies, nos régimes politiques ont cherché à réduire le fardeau fiscal des citoyens. « Peu à peu, nous avons accepté la privatisation. Les gouvernements renoncent ainsi à leur responsabilité et l’entreprise est devenue la bienfaitrice de la collectivité », souligne Marc Nantel.

Ce retrait progressif de l’État dans les services publics a obligé les collectivités à trouver d’autres sources de revenus que les subventions des gouvernements, et elles les ont trouvées dans les entreprises privées. Ainsi, les organisateurs d’événements d’envergure reçoivent de l’argent et, en échange, ils font le travail de promotion de l’entreprise. Celle-ci se donne ainsi une image de marque positive. Cette façon d’utiliser la commandite fait augmenter notre niveau de vulnérabilité. Imaginez un désaccord avec le commanditaire. Ou encore, si un organisateur mène en parallèle une action citoyenne qui déplait à l’entreprise, ce dernier risque alors de perdre les fonds. L’adage qui dit « on ne mange pas la main qui nous nourrit » prend tout son sens. En acceptant l’argent, nous renonçons à une partie de notre liberté.

La commandite étant applicable comme dépense d’entreprise, elle permet à cette dernière de récupérer une partie des frais en réduisant ses impôts, refilant du même coup la facture aux citoyens. L’entreprise gagne sur tous les fronts. Elle se donne une bonne image de marque, réduit ses frais et obtient une très grande visibilité. C’est une gigantesque campagne publicitaire à peu de frais.

Plus dramatique encore est notre perte d’identité. Les noms des festivals, autrefois désignés en l’honneur de personnages respectés ou de noms de lieux géographiques ou historiques nous rappelaient nos racines. Aujourd’hui, en plus des panneaux publicitaires installés pour remercier nos généreux donateurs, plusieurs événements sont nommés d’après les entreprises. Les personnages ayant marqué l’imaginaire collectif, grâce au rôle qu’ils ont joué dans l’amélioration de plusieurs aspects de notre société, tombent dans l’oubli. « Ce qui est encore plus troublant c’est que tout ceci se déroule en plein jour et que les gens ne voient pas les impacts à long terme sur notre image collective », martèle Marc Nantel.

Plus on creuse la question, plus on se rend compte qu’on s’est donné un système abusif. Nous sommes prêts à renoncer à beaucoup pour recevoir très peu. Les entreprises commanditaires appliquent les règles. Nous ne pouvons pas leur prêter des intentions malhonnêtes. C’est le régime de la commandite qu’il faut changer en y appliquant certaines modalités.

La commandite devrait se limiter à des panneaux publicitaires et ne devrait pas permettre de donner son nom aux festivals. « Il est aussi du devoir des organisateurs de mettre en valeur l’engagement des citoyens et de se garder d’offrir, en signe de gratitude, le nom du commanditaire, à l’événement; les entreprises privées n’en exigent pas tant pour participer », conclut M. Nantel.

Rappelons-nous que le travail citoyen a une valeur et ne doit pas être occulté au profit des bailleurs de fonds.

Resterons-nous toujours tributaires de l’implication des entreprises dans ce régime de financement? Allons-nous perpétuer cette culture qui vend une part de son âme? La perte de sens peut nous entraîner bien bas. Nous devons tenir d’abord et avant tout à la richesse de notre légitime fierté… Il est là le bonheur.


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