Le projet est ambitieux. Utiliser la métaphore du théâtre et de l’agora comme espace public pour situer des enjeux contemporains. Depuis bientôt trois ans, Christian Lapointe, metteur en scène et directeur du Théâtre Carte Blanche, en collaboration avec le Théâtre du Tandem et d’autres partenaires aux quatre coins du Québec, fait l’exercice d’écrire rien de moins que la constitution du Québec. Un forum citoyen avait lieu à Rouyn-Noranda le 9 février dernier à l’Agora des Arts.

Bien que le lien entre le théâtre et la politique puisse sembler farfelu pour certains, il n’en est rien. Pour assurer tout le sérieux possible à l’exercice, le projet Constituons est d’ailleurs mené en partenariat très serré avec l’Institut du Nouveau Monde (INM), qui est une organisation indépendante et non partisane ayant pour ambition d’accroître la participation citoyenne à la vie démocratique. La démarche est financée en grande partie par des fonds de recherche universitaires, des syndicats, l’Université du Québec à Montréal ou encore des fonds de recherche du Québec.

Quelle est l’étincelle à l’origine du projet? Comme l’explique Christian Lapointe, « c’est une mise à l’épreuve du théâtre comme agora populaire, dont la fonction devrait être d’échanger et de débattre des idées. Il y a aussi des liens entre les conventions du théâtre et celles du vivre ensemble. L’objectif est donc d’essayer de faire écrire la constitution du Québec par des citoyens en se servant des théâtres comme courroies ».

Par souci de représentativité démographique, 42 personnes ont été tirées au sort par la firme Léger 360, avec parité hommes-femmes et provenant de partout au Québec. Leur participation n’est pas liée au théâtre. Elles seront en charge de diriger le contenu des forums citoyens et, au terme des consultations, de rédiger la constitution. On les appelle donc les constituants. Elles ont établi des questions à poser, via un formulaire en ligne et les forums citoyens qui ont lieu dans les théâtres à travers le Québec depuis 2018.

Pour sa part, l’INM a fait le design de l’assemblée constituante et mène la démarche. Les théâtres, dont le Tandem en Abitibi-Témiscamingue, relaient l’information sur leurs territoires et organisent les forums citoyens. Les forums sont une petite portion de la consultation; sondage en ligne et appel de mémoires complètent la cueillette. Le metteur en scène observe la démarche et crée une pièce de théâtre documentaire qui témoignera de tout ça.

Le Québec n’est pas le premier à se lancer dans le processus. La Tunisie, au sortir du printemps arabe, a adopté une constitution, tandis que l’Irlande a apporté des amendements à la sienne par consultation populaire. L’INM a étudié une dizaine de cas datant des vingt dernières années à travers le monde pour choisir le mode de fonctionnement le mieux adapté. Sur trois modèles possibles, ils ont choisi le tirage au sort des constituants, protégeant ainsi le processus de la partisanerie politique et de la mainmise des entreprises dans les instances de pouvoir.

Selon Christian Lapointe, « le but est de déposer le texte qui va émerger de l’assemblée constituante à l’Assemblée Nationale, en disant que ça a été fait le plus droit possible. On voudrait que la population soit sondée sur la constitution et les articles qui la composent, par référendum. Il faut essayer de responsabiliser les législateurs sur le besoin de consulter la population. Notre système politique se fout pas mal des citoyens quand on y pense, c’est un peu ça aussi qu’on veut prouver. La démocratie ne devrait pas s’exercer qu’une fois tous les quatre ans ».

Qu’est-ce que le Québec gagnerait à adopter sa propre constitution? Selon Christian Lapointe, les raisons sont nombreuses. « D’abord, la constitution du Canada n’est pas écrite par des citoyens. Le mot peuple n’apparaît pas une seule fois. Au Canada, l’angle de la constitution vient d’une aventure coloniale, avec la notion que le colonialisme sert à aller chercher les matières premières. En aucun cas, notre constitution n’est un rempart contre ça, au contraire peut-être. Au Québec, des entreprises embouteillent l’eau et nous la revendent plus cher que l’essence. Dans une constitution québécoise, l’eau pourrait être nationalisée, par exemple. Plus on vit en région éloignée, plus la réalité coloniale où le territoire est au service des entreprises est visible ». Les enjeux pourraient aussi toucher les droits des peuples autochtones à l’autodétermination, entre autres.

« En ce qui a trait à la laïcité par exemple, ça réitère que le chef de l’état c’est la reine d’Angleterre, qui est le chef de l’église protestante et qui représente Dieu sur cette terre. Donc à partir du moment où les constituants disent que le chef de l’état doit être élu au suffrage universel, la reine n’est plus le chef de l’État. »

Comme l’explique Christian Lapointe, « il y a en ce moment des vides juridiques parce que le Québec n’a pas signé la constitution en 1982. Le projet sert aussi à révéler ces vides. Il faut le voir comme une opportunité. Dans les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il y a très peu d’endroits où il est possible de refaire cette démarche fondamentale. » Au Québec, ce n’est pas encore fait, même si c’est permis. Chez les voisins du sud, tous les États ont leur constitution.

Mais revenons-en au théâtre. Comment transformer tout ça en objet théâtral? Le metteur en scène explique : « l’œuvre d’art va témoigner de mon parcours, des démarches de financement, des consultations, jusqu’au dépôt de la constitution écrite. Je vais jouer comme un DJ, à travers des bases de données qui deviennent de la matière : archives audio, captations vidéo, commentaires en ligne, couverture médiatique, collage de données d’archives ». Le tout sera présenté en juin prochain au Festival TransAmériques à Montréal, suivi d’une tournée dans les théâtres partenaires, à partir de l’automne 2019.


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