La tronche que tirent les gens ce printemps… on ne distingue même plus les peaux du ciel gris. Les témoignages de ras-le-bol professionnels font la manchette. C’était d’abord les infirmières, puis les profs, et ce sera vite vous et moi, et le reste du monde pour ainsi dire.
Un jour, il semble qu’on aura bien peur des statistiques en santé mentale. Alors, je demande ici ce qu’on se demande parfois là-haut (surtout quand vient le temps des sondages) : mais qu’est-ce qui ne va pas, le peuple?
Pas obligé d’être un analyste politique pour comprendre, ça se voit bien que les puissants clouent lentement le cercueil des travailleurs (avec moins de clous, économie oblige). Et ça sent la magouille électorale dans l’air. Ah, comme l’odeur de fleurs fait du bien après celle du mépris!
Il n’y a pas à dire, la situation est révoltante. Mais il y a autre chose toutefois. Et notre gouvernement nous martèle avec ça, quoique jamais autant que nous-mêmes : l’idéal de la performance.
Elle est vraiment partout dans nos têtes cette idée que nous devons tout optimiser. On aspire à maximiser notre potentiel, à élaborer des projets, à vivre toujours plus intensément. Même chez soi, il faut cuisiner le souper le plus goûteux pour les enfants les plus merveilleux (de futurs génies) dans le plus confortable des foyers. Le repos est devenu un luxe dans le meilleur des mondes; chaque seconde compte. Alors, bien sûr, les gens ont la mèche courte. Pourquoi ne cessons-nous pas de dormir, tandis que nous y sommes?
Très tôt, chacun commence à s’améliorer. Dès la petite enfance, la maîtresse d’école nous gave de maximes édifiantes : « vous êtes tous uniques », « chacun a du potentiel », et surtout un grand classique : « si tu veux tu peux ». Ces désirs d’accomplissement, de reconnaissance et d’expansion de l’ego sont des rêves de grandeur, on en raffole! L’American Dream a été longuement digéré, puis incorporé. Toute cette pression externe est réelle, quoiqu’ultimement, il n’y a personne de pire que soi pour exiger l’impossible.
Il faut sans cesse « se dépasser » pour devenir quelqu’un d’exceptionnel. Voilà l’absurdité : se dépasser soi-même, c’est outrepasser ses limites. « Dépasser » peut signifier être meilleur qu’un autre, comme lorsqu’on arrive premier dans une course. Une définition positive. Mais encore, ça peut aussi dire exagérer franchement, largement au-delà de la ligne d’arrivée, d’où l’actuelle gueule cadavérique des gens.
À vous qui dégustez peut-être vos vacances, soufflez un peu le temps d’une soirée ou ne serait-ce qu’un instant béni, reposez-vous tant qu’il le faut. D’accord, vous aimez votre travail, votre vie de famille, vos sorties; tant mieux. C’est important d’entretenir ses feux. Toutefois, ne vous laissez pas brûler. N’en exigez pas non plus trop de vous-même. Autrement, il semble que vous finirez aussi par y passer, ou pire, par tenir le briquet de l’autre côté. Peut-être est-ce là le sens de l’expression « brûler la chandelle par les deux bouts ».