Les cinq textes sur le Prix littéraire des collégiens ont été rédigés par des finissants du profil Littérature du programme Arts, lettres et communications du Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, sous la supervision de Mme Stéphanie Hébert.

UNE BÊTE SAUVAGE D’ENCRE ET DE PAPIER – Exclusivité web

Jérôme Barrière

Comment faire pour aborder les tabous comme l’inceste dans un livre? Audrée Wilhelmy nous propose un texte particulier comme il est assez rare d’en observer, en marge de la littérature actuelle, tout comme son monde est en marge de la société. Ce texte, c’est Le corps des bêtes.

Dans cet intrigant livre de 160 pages se bousculent différents thèmes, certains aux frontières du non-dit : l’animalité, voire la bestialité de l’humain dans ce qu’il a de plus primitif, le désir et l’initiation sexuelle, l’attirance œdipienne et l’inceste, notamment. Le corps des bêtes est une œuvre déroutante, racontant la vie d’une famille habitant un phare, coupée de la civilisation. La nature n’est cependant pas synonyme de liberté ici, isolant plutôt les personnages dans un huis clos sauvage qui permet d’observer les relations entre les membres de la famille, chacun formant (ou pas) des liens avec les autres, explorant des dynamiques rarement vues.

Quant à la forme, elle est tout aussi particulière et unique que le fond. Des symboles, des métaphores et des allégories attendent le lecteur à chaque détour. Le soin apporté à chaque détail de chaque phrase est d’ailleurs l’un des plus grands atouts du livre, mais aussi l’un de ses défauts. En effet, Le corps des bêtes compte beaucoup sur cette complexité. Ce style, bien qu’induisant une pluralité de lectures, peut facilement semer le lecteur, qui risque à tout moment de s’y égarer s’il manque d’attention. 

Cela n’empêche cependant pas le texte d’Audrée Wilhelmy d’être une pépite, une petite bête farouche que chacun devrait tenter d’apprivoiser pour en capturer le sens. Et comme une bête sauvage qui se débat, ce livre risque fortement de laisser des traces.

À l’ombre des hommes

Ann-Sophie Gironne

Véritable, profond et intemporel, Au grand soleil cachez vos filles nous ouvre la porte du Liban des années soixante. Dans ce roman, Abla Fahroud donne la parole aux jeunes Abdelnour qui tentent, malgré eux, de faire leur place dans le pays qui les a vus naître. Partis depuis trop longtemps au Québec, les Abdelnour ne sont réellement chez eux nulle part : le Liban, lui, ne leur ressemble plus. « Le mensonge est endémique, il fait partie du pays comme la mer, la montagne et le ciel toujours bleu. »

Le personnage principal, une jeune femme intrépide qu’on pourrait qualifier d’alter ego de l’auteure, nous ouvre les yeux sur une tout autre réalité. Ikram, une jeune femme dans la vingtaine, rêve plus que tout de percer à la télévision et au théâtre. Vivant au Québec avec sa famille depuis qu’elle est toute petite et forcée de retourner au pays natal, elle se retrouve confrontée à un déracinement profond. À travers les yeux de la jeune comédienne, le Liban apparaît d’abord comme un véritable paradis, où le soleil brille en tout temps, où la vie ne prend pas de pause. L’enthousiasme d’Ikram pour ce pays qu’elle surnomme « le Grand Soleil » ne ternit pas, alors que ce dernier, à son insu, fait lentement des ravages dans sa vie. Dans un monde où « actrice » est synonyme de « putain », que vaut seulement la voix d’une femme?

Acculée au pied du mur, Ikram réalise malgré elle, à travers les mots à demi-dits, les mœurs rétrogrades et les regards dans lesquels elle se voit déshabillée, que les femmes comme elle n’ont pas leur place au Liban. Coincée dans une société rigide et archaïque, quelle place une femme moderne occupe-t-elle? Dotée d’une douceur sans égal, la plume d’Abla Farhoud nous transporte dans un univers choquant où les hommes sont maîtres et où la femme n’est que figurante. Vous aurez été prévenus, Au grand soleil cachez vos filles est un roman d’une franchise sans pareille. Saurez-vous fuir sa brûlure?

Renaître par les livres

Gabrielle Raymond

Une odeur de bois émane du récit de Jean-François Caron, mélangée à celles des malheurs, de la douleur, de l’amour et des livres. De bois debout est une brise qui vient fouetter le cœur avec la force du théâtre et la plume touchante de l’auteur. Alexandre, son personnage principal, se voit ébranlé par le deuil des gens qu’il aime et qui, même après avoir cessé de respirer, continuent de lui parler. 

 

Son histoire nous est racontée par l’entremise de voix extérieures et intérieures, de chœurs, de pensées, de mémoires et d’une narration au parfum forestier. Après avoir vu son père mourir d’une balle accidentelle dans la tête, Alexandre a la tête trouée lui aussi, métaphoriquement. C’est en rencontrant un visage dévoré par le feu, celui de Tison, un écrivain solitaire, qu’il trouve refuge dans les livres. Alexandre quitte plus tard son petit village pour devenir professeur de littérature, et ce, même si son père lui avait si souvent répété que la vraie vie ne se trouvait pas dans les livres, que ces derniers ne disaient pas l’essentiel. Pourtant, aux yeux d’Alexandre, « Le père lui-même était un de ces livres qui ne savaient pas me dire le plus important ». 

 

De bois debout est un récit raconté rétrospectivement et de façon non chronologique : il suit les souvenirs des personnages. Il nous donne accès à leurs perceptions sur leur expérience et à l’impact des événements sur leur âme. En effet, l’auteur a su mettre en mots les profonds bouleversements qu’ils traversent. Le roman est formé de courts chapitres habités d’une poésie qui ne laisse pas indifférent. On y trouve peu d’action, mais énormément de beauté et, surtout, d’originalité.

Condamné à réussir

Jacob Grenier-Morin

Arrogant, égoïste, narcissique et contrôlant sont des termes qui définissent bien le personnage central du roman Royal de Jean-Philippe Baril Guérard. Cet étudiant en droit à l’Université de Montréal, issu d’une famille aisée et ayant toujours eu d’excellents résultats scolaires, a tout pour gagner la course au stage dans laquelle il s’est embarqué, sauf… une certaine stabilité psychologique. Il est vrai qu’il peut être difficile de rester sain d’esprit lorsqu’on se retrouve confronté à la pression d’exceller dans ce qu’on appelle l’élite de la société. 

C’est dans un monde où règne un capitalisme sauvage prônant la productivité et l’efficacité qu’un jeune homme ira jusqu’à perdre son humanité, exclusivement dans le but de réussir ses études universitaires. Ce récit mélange anxiété de performance, pulsions sexuelles sadomasochistes et questions existentielles, et propose une critique sociale où le lecteur prend conscience des risques et sacrifices auxquels doit faire face celui qui souhaite « rentrer dans le moule ». Malheureusement, des conséquences s’ensuivent, car ce dernier accepte de persévérer malgré tout le mal qu’il peut causer, tant à lui-même qu’à son entourage. Effectivement, l’esprit de compétition monte à la tête du protagoniste qui délaisse tout sentiment de bienveillance et de bonté qu’il pouvait ressentir auparavant : « À terme, vous vous planterez des couteaux dans le dos. Tous les êtres humains sont décevants : il faut seulement leur laisser du temps. » Cet environnement engendre des réflexions d’ordre existentialiste chez l’étudiant, pris d’un vertige lorsqu’il est confronté à la petitesse de son destin devant l’immensité de l’univers.

Baril Guérard décrit cette dure réalité dans le français anglicisé des jeunes québécois de nos jours. Il nous fait ainsi part, dans un cynisme poétique, de la dégradation d’un être complètement dévoré par le système. 

Ironiquement, le personnage aux allures d’antihéros finit par s’accrocher au seul espoir qui lui reste, mais qui lui a aussi fait tout perdre : son stage. C’est à se demander s’il vaut vraiment la peine d’accorder autant d’importance à une future carrière. Un roman au propos direct, mais réaliste qui expose l’absurdité de la société actuelle.

Addiction et restauration : les coulisses

Laurence Ratté

Le Plongeur, un roman de Stéphane Larue, nous plonge littéralement dans les profondeurs du milieu méconnu de la restauration et d’un Montréal plus underground aux saveurs de vodka, de bière fade et d’illusions. Larue peint la réalité d’un étudiant en graphisme qui se voit obligé d’accepter un emploi temporaire comme plongeur dans un restaurant montréalais huppé, La Trattoria. En constant décalage avec son époque, il aurait probablement plus trouvé sa place dans les années 1980 et 1990, avec ses goûts pour les vieux groupes métal, pour les romans de Lovecraft et de Frank Herbert, qu’en 2002. 

Une des forces du roman réside dans les personnages gravitant autour du héros, notamment le cuisinier Bébert, une vraie mine d’anecdotes et de blagues, le mentor du protagoniste, ainsi que Malik, son cousin, qui lui servira de pilier. De plus, l’auteur aborde des thèmes originaux comme la dépendance au jeu en dressant un portrait d’ensemble, sans pour autant être moralisateur, de l’état mental et physique du joueur et des effets qu’a sa dépendance sur ses relations. Il donne également accès à l’envers du décor du milieu de la haute gastronomie, à ses côtés les plus sombres et aux cuisines les plus bordéliques. L’auteur nous amène au cœur des rushs de service et des après-quarts de travail arrosés. Il illustre avec un réalisme sans pitié les relations de pouvoir entre employés et employeurs au sein de La Trattoria. L’hyperréalisme de Larue mélangé à l’utilisation d’une langue québécoise métissée d’anglais apporte un sentiment d’intimité avec le livre. Le lecteur se sent enveloppé dans l’histoire qui, avec ses tournures de phrases familières et ses expressions reconnaissables, nous entraîne dans un univers connu de tous, mais présenté sous un angle nouveau. 

Le style d’écriture descriptif et détaillé est un point fort de l’œuvre, mais qui peut également être vu comme un point faible puisqu’il signifie, notamment, beaucoup de longueurs. L’expérience offerte par Larue est semblable à l’état du protagoniste : « Je lisais, mon esprit était clair, j’aurais arrêté le temps si j’avais pu. »