Pour un contenu augmenté, nous vous proposons d’écouter ce texte avec la chanson Boire leur venin de Jason Bajada en toile de fond.
Ils sortent tous les deux du cinéma où ils viennent de voir le dernier Blade Runner de Denis Villeneuve. Il ne se souvient pas de tous les détails de l’histoire dans le film. Par contre, il ressent encore en lui sa présence à elle, alors qu’elle se trouvait tout près de lui, coude à coude à l’occasion, dans ces vieux sièges peu confortables de cette salle presque centenaire. Il aurait voulu lui prendre la main, la serrer tendrement dans la sienne afin de partager sa chaleur. Il aurait ainsi dévoilé ses sentiments au grand jour. Il n’a pas osé, autant pour elle que pour lui-même. Ils marchent maintenant sur le trottoir enneigé, en cette froide soirée de février, en se racontant des anecdotes et des plaisanteries.
Ici encore, il est troublé par son corps dans l’espace à côté du sien. Il cherche souvent ses mots pour lui parler et rit comme un gamin sans expérience de la vie. Il a conscience de son propre comportement, ce qui le rend plus mal à l’aise. Une dizaine de minutes plus tard, elle l’invite à prendre un café ou un verre chez elle, à quelques pas seulement. Il accepte, sans trop réfléchir.
À l’intérieur de l’appartement décoré avec goût, elle lui suggère de s’asseoir tout bonnement au salon, sur ce divan noir à pois gris déterré chez un antiquaire du quartier. Elle apporte deux tasses de café et s’installe tout près de lui. Tout en poursuivant la discussion, il ne peut s’empêcher de sentir près de sa cuisse, à lui, la chaleur de son corps, à elle, de cette femme qu’il connaît depuis quelques mois à peine. Il observe en lui un désir fou de lui enlever sa tasse de café, de la poser sur la table basse en verre, de lui caresser tout doucement la joue pour ensuite l’attirer vers lui et l’embrasser, timidement. Il aimerait la prendre dans ses bras et se laisser bercer par le rythme de l’instant. Il aimerait s’abandonner.
Cependant, il retient son élan spontané, malgré la douleur sourde et pesante que ce geste lui laisse à l’intérieur, telle une déchirure brûlante droit au cœur. Il revoit dans sa tête les images de son épouse adorée, des moments de bonheur vécus ensemble pendant tant d’années. Il ne peut se résoudre à la trahir ainsi, en abandonnant ses lèvres sur une autre bouche que la sienne, en oubliant ses promesses pendant quelques instants. Et pourtant, il en crève d’envie. Le simple fait de se trouver à proximité d’elle le rend vivant à nouveau, débordant d’une énergie qu’il croyait disparue à jamais.
À 63 ans, veuf depuis près de 3 ans maintenant, il aimerait bien se sentir comme un être humain, simplement. Un être humain partageant de la tendresse.