Je vous écris dans l’espoir de faire jaser en bien de nous, les pelleteux de nuages en philosophie, les chialeux en sociologie et ainsi de suite. Oui, de nous, les improductifs impertinents, ces chercheurs de problèmes systémiques. Pour plusieurs, nous ne sommes que des emmerdeurs, tous des marxistes-léninistes dont le régime est dument lacto-ovo-végétarien. Il faut comprendre, qu’y a-t-il de plus irritant que des indignés qui questionnent les certitudes, doutent sans cesse, critiquent la société?
C’est certainement un rôle ingrat. Les gens sont durs envers les sciences molles. Rien de nouveau sous le soleil; on n’aime pas discuter de ses défauts, de ses manquements, de vieux problèmes compliqués. Ça nous gratte. On ne veut pas faire de lessive collective pour tous, devant tous. Eh ben moi, ce qui me pique dans le dos, c’est plutôt la simplicité avec laquelle on évacue le complexe. Certes, notre assouplisseur est irritant, mais il est nécessaire. Ne serait-ce que pour mieux défendre l’importance du compliqué — ou pour mieux comprendre un enjeu important — il me semble qu’on devrait se mouiller un peu plus. Il faut défendre notre rôle social en tant qu’analystes de l’être humain, sortir de nos bulles. Voyez plutôt.
Je vous écris donc, en humble insignifiant, pour vous convaincre de l’importance des sciences humaines et sociales. En fait, plus spécifiquement pour défendre notre dada : la culture. Nous étudions beaucoup ce sujet mou et glissant, sans trop prendre la peine de définir tout ce que ça implique. Pourtant, on peut dire que son étude permet de se connaitre soi-même. Ce n’est pas évident d’en parler parce que la culture constitue quelque chose d’immense, d’immesurable; un impératif inventé sur lequel on ne peut revenir.
La culture
En premier lieu, la culture, c’est l’ensemble des moyens dont l’humain dispose pour contenir son singe intérieur. Un genre de mur qui cache notre animal déchainé, cette brute moitié. Un mur contre la honte. Est humain celui qui sait distinguer le honteux de l’honorable. Un savoir ancien nécessaire au vivre-ensemble. Seulement, tous les groupes humains ne s’entendent pas sur ce qui doit être prescrit et proscrit. Les cultures diffèrent essentiellement sur ces critères. Comprendre la manière, c’est chercher à comprendre l’humanité, la sienne comme celle des autres. C’est important, ça.
Tout est dans la manière
Pour l’être humain, il importe de savoir pourquoi se lever avec le soleil, pour qui s’infliger une stricte bipédie rythmée, avec qui partager sa hutte. Ultimement, la culture, c’est d’inventer des réponses satisfaisantes aux questions existentielles, de donner un sens à ce qui n’en a peut-être pas. On s’informe de ce que font nos semblables, car peut-être savent-ils, eux. Ce n’est pas une chose évidente, car la manière de l’autre vient sitôt confronter des acquis moraux profondément ancrés en nous. Lorsque le comportement d’autrui semble trop absurde, voire ridicule, tous s’enferment derrière leur mur de croyances respectif. Les deux certitudes. Comprendre la culture, c’est comprendre que les jugements que nous portons sont culturellement biaisés, comme le sont ceux de l’autre. Les manières doivent savoir discuter en toute humilité.
Justement, toutes nos disciplines valorisent le doute, le dialogue et aiguisent la pensée critique, ce crâne d’acier qu’on se fait pour enfoncer les murs.
Notre rôle à nous, en sciences humaines et sociales, consiste — entre autres — à révéler toute la complexité de la culture. De toute évidence, il n’y a pas de réponses simples, claires et définitives aux problèmes humains. Force est de constater que le monde est compliqué à s’en taper la tête sur le coin des murs. Nous sommes tous désespérément complexes. Il faut donc étudier l’humanité pour la comprendre. Vaut mieux se tenir au fait, du moins, parce que cette planète est densément peuplée des autres, que cela nous plaise ou non. Des milliards, ils sont. L’Inde, par exemple, est cent-trente fois plus peuplée que le Québec. Mais encore, selon nos principes les plus démocratiques, l’homme est majoritairement une femme. Souvent asiatique, parfois africaine, mais une femme, dans tous les cas. Le savoir qui porte sur l’état de la conditiondesSapiens devra donc nous intéresser, tôt ou tard, à supposer que ce constat puisse remettre certaines choses en perspective.