Le côté le plus pervers de l’abondance réside dans le choix. Choisir, c’est écarter d’autres possibilités, d’autres voies. Laisser quelque chose derrière qui n’existera pas. On peut passer sa vie à se demander « et si j’avais fait ceci plutôt que cela ». Il y a des scénarios historiques à ce propos : et si Hitler était devenu artiste, que Napoléon avait été géant, alors les éléphants auraient pu… On risque de devenir fou. Mais, au bout du compte, quand on regarde en avant, ne pas choisir définitivement permet aussi de continuer à fouiner dans l’univers des possibles.

Un des plus grands mérites de l’éducation – théoriquement – est de mieux outiller les individus dans leurs capacités à effectuer des choix plus éclairés, et ce, toute leur vie durant. Les lumières de l’éducation n’étant pas toutes égales, elles ont parfois pour effet secondaire d’endoctriner ou, du moins, d’altérer la vision de la personne pour la rendre aussi étroite que son champ de prédilection. Ainsi, un économiste et un politicologue se prennent le bec sur un traité de libre-échange, tous deux incapables de porter les lunettes de l’autre, le regard fixé sur une seule facette d’un objet complexe. À la fin, on se retrouve malheureusement avec un tas de ces spécialistes bornés : des têtes de cochons autodidactes, des génies intransigeants, des doctorants incapables de dialoguer.

Seuls les grands curieux sont crédibles. Ceux qui ont longuement hésité entre tous les programmes du cégep, qui se sont perdus dans les infinités de l’université, qui militent pour les départements « interdisciplinaires », ou bien qui n’ont rien fait de cela, mais qui ont la piqûre du savoir. Ces créatures étranges passionnées d’ornithologie, d’astrologie et de cuisine asiatique en même temps; vous voyez le portrait?

La masse immense que constitue aujourd’hui « l’information », il nous faut la filtrer. Beaucoup. Savoir choisir ses sources sur Internet et les opposer. Se mettre consciemment au défi. Savoir entendre les avis contraires. Il est possible de s’informer uniquement dans le but de renforcer ses propres certitudes. Par exemple, en lisant des conclusions d’études qui vont dans le même sens que ce que l’on croit ou de ce que l’on voudrait croire (j’en sais quelque chose : je magasine la meilleure météo…). Il faut déterrer sa propre éducation de la masse : sur quoi se fonde mon opinion? que disent les études qui vont à l’encontre de ma croyance? Les meilleurs curieux vont continuellement tester leurs valeurs et connaissances. Ils vont continuer à se magasiner un avis.

Le public a longtemps cru que les journalistes avaient pour tâche d’informer de façon neutre et véridique. Le métier était aussi fait et perçu ainsi. Il faut maintenant magasiner ses journalistes parce que plusieurs ne sont pas aussi indépendants qu’ils le laissent paraître. Idem pour certains chercheurs dont les études sont financées par le secteur privé. Cela dit, ne soyez pas non plus sceptiques de tout ce qui se dit. Le seul fait de lire un journal communautaire fait probablement de vous un être curieux. Faites-vous confiance dans votre éducation citoyenne (et merci de nous avoir choisi).