Récemment, nous apprenions la mise en branle des travaux pour la déviation de la route 117 à l’entrée de la petite ville de Malartic, dans le cadre du projet d’agrandissement de la plus grande mine d’or à ciel ouvert en milieu habité au pays. Le gouvernement du Québec avait annoncé, en avril dernier, qu’il autorisait le projet au cours d’une sortie où on a, semble-t’il, pas cru bon de dépêcher de« ministre senior », donnant des airs de routine à cette décision pourtant peu banale. Histoire de réaffirmer une réalité observable à l’œil nu : l’emprise de l’industrie minière sur le territoire et les communautés de la région. 

           

Cette industrie, appuyée par la législation québécoise ainsi qu’une poignée de personnalités politiques locale et nationale, fait, aujourd’hui comme hier, la loi sur de larges portions du territoire de l’Abitibi-Témiscamingue. En plus d’accaparer l’essentiel du sous-sol de la région entre Rouyn-Noranda et Val-d’Or, elle génère des tensions au sein de communautés, limite les possibilités de conservation du territoire et refaçonne littéralement le paysage. Le tout, gracieuseté d’un modèle d’exploitation des ressources orienté par et pour le privé, mais dont les coûts environnementaux, politiques et économiques, sont collectifs.

Free mining, cœur de l’appropriation

           

Au cœur du phénomène se trouve le principe du free mining. En bref, ce dernier octroie à quiconque, en échange de certaines conditions et de quelques frais, une série de droits sur le territoire et les ressources. Selon Laura Handal Caravantes, dans Dépossession, on compte notamment le droit d’acquérir, sans que l’État n’intervienne, des droits de propriété sur les ressources minérales, ainsi que la garantie de pouvoir explorer les terres ciblées par ces droits et d’exploiter les ressources découvertes[1].

           

Ses répercussions sur la région sont multiples. Par exemple, seulement en Abitibi, l’Action Boréale estime que c’est 40% du territoire qui ferait l’objet de droits miniers[2]. Cette situation a pour effet de limiter grandement les possibilités d’aménagement du territoire, les activités de l’industrie primant entre autres sur la création ou l’agrandissement d’aires protégées. C’est ainsi que, par exemple, un secteur de marais réputé très riche en biodiversité a été exclu de l’aire protégée de la forêt Piché-Lemoine, car recouvert de titres miniers, alors que celui-ci bénéficiait de l’appui de la population locale[3].

           

Aussi, les ramifications du free mining dans la législation minent le poids des citoyens et citoyennes dans le choix d’accepter ou non ces projets de « développement ». En effet, parmi les droits exubérants mit à la disposition l’industrie minière, on compte notamment le droit d’exproprier, œuvrant à titre de « garantie », lorsqu’une compagnie doit réaliser ses travaux d’extraction, si la négociation avec un-e propriétaire n’aboutit pas (article 235 de la Loi sur les mines). Cette garantie a d’ailleurs été mise en œuvre en 2010, lorsque on a évincé, menottes aux poings, le dernier citoyen possédant un terrain sur le territoire de la fosse à Malartic.

Derrière les paravents de la démocratie

           

À l’appropriation du territoire par l’industrie, une poignée d’élu-e-s prête main-forte, s’en faisant parfois l’agente. À ce titre, l’appui indéfectible de certaines figures politiques de Malartic au projet d’agrandissement est éloquent. Comme rapporté par l’Écho Abitibien dans un article du daté 14 mars 2017, le conseil municipal de la ville pressait le gouvernement du Québec d’autoriser le projet, affirmant qu’une non-autorisation dans de brefs délais pourrait avoir « avoir des conséquences économiques importantes et sociales »; le maire de la ville prenait alors complètement le parti de la minière, en déclarant : « On est derrière eux [la minière], parce qu’ils respectent les règles ».

           

Ce parti pris a de quoi poser de sérieuses questions, surtout quand on sait que des citoyens de la ville ont entrepris de passer par les tribunaux pour tenter de contraindre la minière à respecter les normes d’opération, dont celles concernant le bruit, réputées dépassées systématiquement au fil des dernières années. En effet, une demande d’injonction a été déposée l’an dernier à cet effet, demande pour laquelle les audiences ont débuté…la veille des déclarations du conseil municipal. C’est donc sans cachettes que l’on surveille les arrières d’une industrie bardée de privilèges pendant sa conquête du territoire et des ressources.

           

Pour la suite des choses, la minière affirmait, dans un communiqué daté du 27 juillet 2017, qu’elle « poursuivra ses efforts afin de constamment améliorer ses processus dans le but de réduire les impacts que peut générer le Projet [Extension Malartic] et de favoriser une cohabitation harmonieuse avec la communauté ». Intention louable, certes, mais qui n’explique en rien de quelle façon seront compensés les désagréments subis par des citoyens et citoyennes de la ville depuis le début des opérations. Surtout quand on sait que la minière entend aller de l’avant dans son projet, malgré les procédures judiciaires visant à faire annuler le décret gouvernemental autorisant l’agrandissement, comme rapporté par l’Écho abitibien dans un article paru le même jour que le communiqué.

           

Bien entendu, on reconnaît ici l’importance que peuvent avoir les projets miniers pour la région, notamment en termes économiques; seulement pour la mine à Malartic, c’est plus d’un millier d’emplois qui sont concernés. Selon le directeur de la mine, toujours selon l’Écho abitibien dans son article paru le 27 juillet dernier, 160 emplois supplémentaires seront créés du fait de la déviation de la route 117. C’est donc dire le nombre de personnes qui dépendent actuellement directement ou indirectement des travaux de la minière. Or, quand on prend la mesure de la disproportion entre le pouvoir des communautés et des citoyens et citoyennes par rapport à celui de l’industrie, il semble qu’on serait en droit d’attendre à moins de complaisance et d’engagement des figures politiques élues vis-à-vis cette dernière.

Michaël Pelletier-Lalonde

[1]    Handal Caravantes, Laura (2015). Mines : histoire d’une triple dépossession, in Simon Tremblay-Pépin (dir.) Dépossession : une histoire économique du Québec contemporain, Montréal : Lux Éditeur, p. 138.

[2]             http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/biodiversite/aires%5Fprotegees/consultation/abitibi%2Dtemiscamingue/memoires/22_ABAT.pdf

[3]          http://www.naturequebec.org/fichiers/Aires_protegees/DE13-08-26_MinesEtConservation.pdf


Un mot sur la démarche

Dans son sens toponymique commun, le terme Abitibi désignerait l’endroit où les eaux se séparent. « Malgré la route qui nous sépare » est un projet qui convie à un exercice littéraire des personnes originaires de l’Abitibi-Témiscamingue, ou qui y sont fortement attachées, qui y transitent occasionnellement, mais qui, en somme, résident ailleurs que dans la région. Le but de ce regroupement vise à créer et à diffuser des textes ou autres formes de créations portant sur des enjeux régionaux. En effet, nous souhaitons contribuer à stimuler le débat public ainsi que la participation populaire aux diverses décisions et réalités (politiques, économiques, écologiques, sociales, etc.) qui influencent le cours de la vie en région.

 

En collaboration avec L’Indice bohémien, nous vous proposons ainsi une série d’écrits qui se retrouveront périodiquement dans la version papier de la revue culturelle ainsi que sur la plate-forme web. Nous croyons que ce qui devrait nous séparer des réalités régionales, ne devrait être, en effet, qu’une route. Par l’entremise de ce projet, nous souhaitons affirmer activement notre engagement envers l’Abitibi-Témiscamingue.

 

Dans un esprit de dialogue, nous vous invitons à réagir et à partager vos commentaires et réflexions suite à la lecture des textes. Pour se faire, vous pouvez nous en faire part via l’adresse courriel suivante : laoularoutenoussepare@gmail.com