Cet été, une œuvre collective à laquelle plusieurs membres du public ont collaboré sera exposée tout l’été au parc national d’Aiguebelle.

Depuis 2015, la Ville de Rouyn-Noranda réalise une œuvre participative. Cette année, la troisième édition coïncidait avec le Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue. L’auteure Sonia Cotten a pris la direction de ce projet hautement créatif qui a rassemblé autour d’une même table auteurs aguerris et écrivains amateurs.

Pendant quelques jours, du 25 au 28 mai, cinq ateliers d’écriture ont été offerts à des citoyens-auteurs qui ont donné naissance à La légende du pont suspendu et à une œuvre visuelle de l’artiste Valéry Hamelin qui, aux pinceaux, dessinait — tout en inspirant les auteurs — sa version toute personnelle de cette légende. Le texte sera imprimé à 500 exemplaires qui s’envoleront sans doute au cours de l’été alors que les visiteurs du parc d’Aiguebelle repartiront avec leur petit bout de légende.

La légende est une œuvre écrite par Tommy Allen, Alice Aubin, Amélie Bélanger, Aline Blanchette, Jérémie Bouchard, Raphael Bouchard, Pauline Clermont, Jenny Corriveau, Thierry et Mérédith DeNoncourt, Marie-Hélène Desgagné-Dupras, Manon Faber, Gilles Gendron, Sylvain Janneteau, Clara Lambert, Anne-Marie Lemieux, Coralie Lemieux, William Tousignant et Anne-Marie Trépanier, avec la collaboration des auteurs Virginie Blanchette-Doucet, Guillaume Beaulieu, Bruce Gervais, Nicolas Lauzon et Cathy Pomerleau.

En voici les deux premiers chapitres :

Chapitre 1

C’est connu, hommes et géants, il y a 3 milliards d’années, se sont croisés.

Les Stoneys aux États-Unis, les Atlantes, les géants des pays nordiques, tout juste avant que les derniers ne se changent en pierres.

Sur le territoire que nous foulons ici, il y en avait. Ils étaient 5, ou peut-être 6, un petit clan dirigé par le Patriarche, barbu au corps couvert de cicatrices, mais pas aussi effrayant que ses cris de colère!

Mais le patriarche était surtout triste, les géants, d’habitude, sont pacifiques. Ils avaient été obligés de se battre entre eux. Ceux qui n’acceptaient pas la fin imminente de leur sort et souhaitaient conquête, et donc combat, contre ceux qui voulaient vivre en paix leur crépuscule. 

Au final, la paix avait couté au Patriarche son corps et sa quiétude. Avant de s’endormir à jamais, quelques humains qui l’auraient aperçu racontèrent qu’il erra pendant toute une saison, tantôt râlant, tantôt bourrassant, renversant bouleaux et épinettes, la nuit comme le jour. 

Les humains, eux-mêmes peu nombreux, ne s’accordaient pas sur son existence. 

Sur le territoire que nous foulons aujourd’hui, on ne comptait alors qu’un seul lac et seulement une petite communauté d’humains, installés tout autour. Des chasseurs, des cueilleurs, des êtres humains occupés à lutter pour la paix de leur estomac, de se battre pour la chaleur, à offrir leurs exploits en échange d’une descendance. Des enfants humains, aux yeux, aux oreilles, aux cœurs ouverts. Ouverts aux bruits du vent, du tonnerre et de l’eau, des animaux fuyants, chassant, hurlant, volant, chantant.

Des ours, des belettes, des ratons. Des panaches, des ailes, des nageoires, des sabots, des museaux, des pattes… des grosses pattes, et par-dessus tout, soir et matin, le beau chant des huards.

Chaque soir, les enfants sortaient en cachette de leur maison pour entendre les huards chanter. Ils les applaudissaient tant et si bien que les huards leur faisaient des chants uniquement pour eux, et ils développèrent une amitié qui n’a pas besoin d’un langage commun pour qu’elle soit ressentie et partagée.

Chapitre 2

Les enfants, bien que soit installé le printemps, étaient tristes. Plus qu’un sommeil avant solstice et le huard ne chantant plus.

Pourquoi cela? Pourquoi ce printemps? Pourquoi ce chant, cette douce musique, s’était éteinte peu à peu? « Il n’y en a presque plus et ils sont tristes! », dit un enfant, désemparé. « Ils n’ont plus de bébés! », cria un autre. Les huards avaient à faire avec un autre problème : les géants, un solstice à la fois, avaient pris gout à boire leurs œufs, jusqu’à plus soif. Rusés, charmeurs, s’il le fallait, prirent le meilleur de l’humain, « il faut servir notre dessein et assurer notre destin! ».

Tulak, papa Plongeur alla trouver son benjamin : « On a tissé une belle, longue et forte corde! Je gage qu’ensemble, nous et ces

petits bouts d’humains sommes bien plus forts que leurs parents! Pour le solstice une bonne idée : faisons la fête, souquons la corde et voyons voir pour qui l’on chante! », « Trois fois oui », dirent les enfants, cachés dans l’ombre du benjamin. Mais Grand Tulak avait son plan : faire trébucher les géants. Et que ça coute ou non, un enfant, plus un de nos œufs ne nourrira ces géants!

Les géants, Lähaie et Arcaan, comme chaque soir de solstice, prirent le chemin menant aux humains. Rien de trop loin quand c’est péché, rien de trop grand quand c’est mignon : « Au Diable, buvons ce soir leur chant de grâce, encoquillé et encore chaud, ce ne s’ront toujours que des oiseaux. »

Ils firent la course! Lähaie, fier, prit de l’avance. Arcaan, le rattrapant, le poussa et l’expédia dans les cordages : la souque allait faire son dommage. Lähaie tombant, de si haut, sur si large, fendit le sol, fit un canyon, envoya voler les enfants loin à l’ouest, basculer les adultes tout à l’est. Gisant au centre de la crevasse, Lähaie avait creusé sa tombe. Son corps devint statue s’endurcissant, craquant, figeant. Arcaan avait perdu, bien plus que la course. À tout jamais privé de frère, il hurla sa mort, fondit en larmes qui s’écrasèrent sur l’ombre pétrifiée de son corps de géant, qui s’enfonça dans leur fleuve. En un rien de temps, on ne vit plus de Lähaie que son coude, récif esseulé d’un ouvrage millénaire.

Arcaan, rivières aux yeux et rage au corps, courut le monde jusqu’en son bout, perçant le sol de ses pas lourds, semant des lacs un peu partout. Les huards, devant les pleurs des enfants, ne voyant plus leurs parents, pensèrent du coup les adopter. Ils leur firent un nid.

Mais une marmite même de géants, ce n’était pas assez; ce qu’il fallait aux enfants, c’est retrouver leurs parents…

(À suivre)

La suite vous attend au parc d’Aiguebelle!

Ce projet tripartite a été rendu possible avec le concours de la Ville de Rouyn-Noranda, du ministère de la Culture et du Salon du livre de l’Abitibi-Témiscamingue.


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