Amasser les souffrances dépareillées, récolter des morceaux de souvenirs ou de déchirures, agencer ensemble les peines vécues pour transmuter la souffrance en guérison : tel est le projet de Véronique Doucet, artiste multidisciplinaire.

 

Elle explique que sa démarche en est une de réconciliation, dont le concept consiste à récolter, avec le concours du Centre d’amitié autochtone et du Centre d’exposition de Val-d’Or, des bas « pas d’ami », ceux qui trainent au fond du panier à linge, esseulés. Ces bas seront ensuite rassemblés et cousus pour devenir une robe-tipi. Robe-tipi?

 

« En 2006, j’avais fait un tipi avec des bas. C’était alors dans une démarche liée à l’environnement. Ils avaient tous été cousus avec du fil vert. C’était pendant la vente trottoir à Val-d’Or », résume Véronique Doucet, qui souhaite maintenant reprendre l’expérience, mais en lui donnant un tout autre sens.

 

Elle reprend donc son idée de courtepointe, mais en donnant à sa démarche une valeur de symbole et aussi de guérison. Par son projet, Aki odehi / cicatrices de la Terre-Mère Réconciliation à partir du territoire, elle invite les femmes à envoyer leurs chaussettes et à y glisser, si elles le désirent, leur vécu.

 

Mais, pourquoi des bas? « Ça ramène à l’enracinement. Et il n’y a aucune discrimination : tout le monde a ça, des bas », explique-t-elle.

 

Afin de nourrir sa démarche, un groupe d’artistes qui ont chacun « adopté » une communauté, est allé à la rencontre d’ainés autochtones de Val-d’Or, de Temiskaming First Nation et de Kitcisakik. « Nous voulions connaitre les lieux sacrés, les lieux-cicatrices. Et le territoire cicatrice est un territoire intérieur », précise Véronique Doucet.

 

En remettant ensemble les chaussettes séparées, elle désire entreprendre une forme de reconstruction et rebâtir un tout.

 

« Je voulais aussi faire quelque chose pour les femmes. J’ai été très touchée par ce qui s’est passé à Val-d’Or avec les récits d’agressions et avec tout le contexte de la culture du viol. L’an passé, je me suis retrouvée dans un souper entre amies. Quatre sur six avaient déjà vécu une agression sexuelle. Je me dis que lorsque quelque chose de négatif reste en nous, il y a des conséquences. Il faut le sortir. »

 

Véronique Doucet n’est pas autochtone, mais elle se sent interpelée et à l’écoute de ce que vivent les autochtones.

 

«  C’est un peuple hyper spirituel, en contact avec la forêt, avec la Terre. Est-ce que je me sens parfois impostrice? Peut-être. Mais il y a quelque chose qui me ramène vers eux. C’est inconscient, même intuitif. »

 

Pour le moment, Véronique Doucet recueille les bas. Par la suite, elle réunira tous les morceaux recueillis et présentera son œuvre au Centre d’exposition de Val-d’Or jusqu’au 10 juin. Ensuite, pour le solstice du 21 juin, qui est aussi la Journée nationale des autochtones, elle ira suspendre sa robe-tipi à un mélèze, l’arbre qui symbolise la purification.

 

« J’y suspendrai cette robe, avec les symboles de ses souffrances, afin de remettre le tout à la Terre-Mère. »

 

Les bas peuvent être déposés ou envoyés à différents points de dépôt que sont le Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, le Centre d’exposition de Val-d’Or, Le Rift de Ville-Marie, et L’Écart de Rouyn-Noranda.

 


Auteur/trice

Lise Millette est journaliste depuis 1998, tant à l'écrit qu'à la radio. Elle a également été présidente de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). En Abitibi-Témiscamingue, elle a été rédactrice en chef de L'Indice bohémien en 2017 et depuis, elle continue de collaborer avec le journal.