J’écrivais en octobre dernier que j’adorais les conversations franches, sans entrave ni raccourci. En novembre, j’y allais d’une chronique sur les hommes qu’il fallait aider, comme on aide les femmes, ce qui m’a valu quelques réactions offusquées de lectrices. Et l’idée m’est venue : écrire ce mois-ci sur la difficulté de débattre d’un sujet sainement, aujourd’hui, à l’ère des réseaux sociaux et de l’anonymat.

Notre problème? Le manichéisme. Nous nous plaçons de plus en plus dans des camps opposés, faisant disparaitre de nos propos une ouverture à l’autre, à ses idées, une certaine humilité. On se divise et on s’engueule. Le manichéisme, c’est simplifier les rapports au monde, c’est tout ramener à une simple lutte entre le bien et le mal, comme dans les contes de fées.

Souvenez-vous des propos de George W. Bush au lendemain du 11 septembre 2001 : « Vous êtes avec nous ou vous êtes avec les terroristes! » C’est court, sans entredeux, mais rassurant, ça évite une réflexion plus longue, qui peut devenir troublante. C’est le ciel ou l’enfer, le côté clair ou obscur de la Force, c’est noir ou blanc. Les nuances de gris, c’est bon pour les sadomasochistes.

Jacques Grand’Maison, prêtre et sociologue à l’UQAM décédé en novembre 2016, a écrit une brique là-dessus. Je n’ai pas tout lu, mais c’est lourd, vrai et actuel : « L’esprit manichéen transforme toute distinction en opposition et ramène la complexité du réel à deux termes qui s’excluent. Il a envahi la religion, la culture, la morale et la politique. »

Nous en sommes là. Partout, sur tout sujet, la tendance est à se diviser, à se camper sur nos positions, à multiplier bien souvent les insultes ou les arguments simplistes. Fédéralistes et indépendantistes, gauche ou droite, Montréal ou Québec, grands centres et régions, allochtones et autochtones, religieux et laïcs, féministes et masculinistes.

Voici un texte savoureux d’Étienne Boudou-Laforce, chroniqueur au Huffington Post. Il y parle de notre difficulté à débattre de nos idées, justement. Il trouve les mots : « Il ne suffit que d’une idée, de quelques syllabes de travers, et hop. Rapidement, on colle à l’Autre une étiquette. Tout le monde est alors en sécurité dans sonpetit clocher idéologique, dans son communautarisme. Et on en vient à freinertoute possibilité de discussion et de confrontation d’idées, s’en remettant à marginaliser l’Autre, celui qui ne parlerait pas exactementdans nos termes à nous. »

Tout est dit. Voilà le danger pour la suite des choses, alors que les problèmes et les défis auxquels nous faisons face se complexifient : environnement, globalisation, inégalités sociales, immigration, islam, cohésion sociale. Il faudra discuter de tout ça, entre nous, un jour ou l’autre, écouter, comprendre l’autre même si on est en désaccord.

Le débat est le prix à payer pour avancer. Un Québec divisé n’aura rien de paisibleni même rien de démocratique.


Auteur/trice

Abitibien d’adoption, Valdorien depuis 20 ans, Dominic Ruel est enseignant en histoire et géographie au secondaire. Il contribue à L’Indice bohémien par ses chroniques depuis les tout débuts, en 2009. Il a été président du CA de 2015 à 2017. Il a milité en politique, fait un peu de radio, s’est impliqué sur le Conseil de son quartier et a siégé sur le CA du FRIMAT. Il aime la lecture et rêve d’écrire un roman ou un essai un jour. Il est surtout père de trois enfants.