Plusieurs événements ayant marqué l’actualité des dernières années ont contribué à mettre de l’avant des discussions au sujet de la qualité de l’information qui nous parvient, ainsi que des sources de cette information. Que ce soit en lien avec les événements du printemps 2012, le débat sur la charte de la laïcité qui a enflammé les médias socionumériques en 2013-2014, ou plus récemment l’élection du président Trump, force est d’admettre que nos fils Facebook et Twitter contribuent largement à façonner nos opinions sur le monde dans lequel nous évoluons.
 
Dans la foulée des événements de la grande mosquée de Québec, on a encore une fois beaucoup abordé la place qu’occupent certaines radios d’opinion au sein du paysage médiatique de la Vieille-Capitale. Quel est le dénominateur commun pouvant nous permettre de penser ces phénomènes médiatiques fort variés? Réponse : la littératie médiatique critique, une notion malheureusement peu connue et, surtout, peu enseignée.
 
Selon la définition offerte par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), on entend par le terme littératie « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités ». Cette définition relève de ce qu’ilconvient de nommer la littératie « traditionnelle ». En somme, il ne suffit pas de savoir lire et écrire; encore faut-il savoir adopter une posture critique face à ce que nous lisons et écrivons. Ces compétences sont d’ailleurs bien intégrées au sein du cursus scolaire québécois.
 
Toutefois, il en va tout autrement de ce qu’il convient de nommer la littératie médiatique. Penséepar le Conseil canadien pour l’apprentissage (CCA) comme « la capacité à lire, à analyser, à évaluer et à créer des médias sous diverses formes », la littératie m
édiatique englobe, selon le penseur américain Douglas Kellner, les compétences nécessaires « à analyser les codes et lesconventions médiatiques, et à critiquer les stéréotypes et les idéologies ». Dans le paysage médiatique qui est le nôtre, où les médias visuels prédominent largement et où les médias écrits sont en voie de se réinventer, il serait crucial de voir les compétences liées à la littératie médiatique intégrées dans le cursus scolaire, et ce afin de s’assurer d’une formation citoyenne adéquate pour les générations à venir.
 
Durant la récente campagne présidentielle, le président sortant Barack Obama s’était moqué du candidat républicain en affirmant que «ce n’est pas cool de ne pas savoir de quoi on parle».
 
S’il est tentant de donner entièrement raison à Obama ici, il reste que très peu a été fait (ni par son administration ni par la plupart des gouvernements des pays occidentaux) pour contrer certaines tendances liées à l’absence d’une littératie médiatique convenable au sein de certaines parts de la population. Et la situation ne peut que se complexifier à l’ère des médias socionumériques, où chacun est l’architecte de son propre fil d’information.
 
En effet, dans la théorie de la communication, il y a un consensus plutôt élargi autour de l’idée selon laquelle l’individu cherche à éviter la dissonance cognitive au profit de la consonance. Autrement formulé, l’individu aura tendance à lire de l’information qui conforte ses opinions, plutôt qu’une information qui confronte ses opinions à un autre point de vue. àCette tendance va bien entendu à l’encontre d’une littératie médiatique adéquate; si je ne confronte jamais mon opinion à d’autres qui pourraient entrer en dissonance, je risque de me camper sur des croyances qui ne reflètent pas nécessairement la réalité.
 
Dans mon propre cercle socionumérique, beaucoup d’humour a émergé dans la foulée des commentaires de Kellyanne Conway, conseillère du président Trump, au sujet de ce qu’elle a nommé les « faits alternatifs ». Mais rire de tels commentaires – carrément ahurissants, d’ailleurs – ne fait rien pour régler une situation extrêmement problématique où il est devenu acceptable devoir des opinions érigées en faits. Il en va de même pour le débat sur le paysage radiophonique de Québec dans la foulée de l’attentat récent : plusieurs ont lié le sentiment islamophobe animant le tireur avec les propos tenus en ondes par certains animateurs.
 
S’il est effectivement problématique que certains propos soient acceptés sur les ondes publiques, il est beaucoup plus inquiétant de voir que ces opinions soient acceptées comme des faits indéniables.
 
Bref : pendant qu’un débat fait rage sur les émetteurs eux-mêmes (qu’ils soient président des États-Unis ou animateur de radio), on passe sous silence l’absence de littératie médiatique qui, elle, constitue à la fois la source même du problème et sa solution.
 
Quelques liens pour ceux qui aimeraient en savoir plus long sur la littératie médiatique :
http://www.medialit.org (Center for Media Literacy–en anglais)
http://habilomedias.ca   (Centre canadien d’éducation aux médias et de la littératie numérique)

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