Qu’arrive-t-il lorsqu’une travailleuse sociale et un clown croisent leur chemin et mettent leur talent en commun ? C’est ce que proposent Valérie Côté et Sébastien Vivand avec le théâtre d’intervention, au sein de leur compagnie Productions Côté-Vivand. Discussion avec Valérie Côté.

LEG : Le théâtre d’intervention est un théâtre interactif. Comment se démarque-t-il du théâtre traditionnel ou du sketch ?

VC : Dans les années 70, Jonathan Fox a créé le Théâtre Playback, qui avait pour but de donner la parole aux communautés. Il y a le côté cour, le côté jardin et le côté vivant. Nous sommes du côté du public. Il n’y a pas vraiment de quatrième mur. On part des histoires du public. Quels sont leurs besoins, leurs attentes ? De quoi ont-ils envie de parler ?

LEG : Lors de vos représentations, il y a une animatrice. Agit-elle comme metteuse en scène ?

VC : Le rôle de l’animatrice est de dégeler le public qui n’est pas habitué à ce genre d’interaction, s’attendant à voir une pièce de théâtre. Ça les bouscule un peu. Elle doit aussi prendre les histoires du public et les donner aux comédiens et aux musiciens qui ont le mandat de les jouer de la façon la plus vraie et respectueuse possible. Le public voit qu’il y a deux chaises vides et se dit : « Oh my god ! Elle va nous faire monter sur la scène. » Bien oui ! Une fois qu’ils sont montés, ils ne veulent plus décoller. Leurs histoires qu’ils estimaient banales sont assez importantes pour devenir un moment de théâtre : les gens se sentent moins seuls.

LEG : Ce type de théâtre doit exiger des acteurs très empathiques.

VC : Le théâtre d’intervention est plus exigeant pour un acteur, car il doit à la fois jouer et être à l’écoute de l’histoire. Il faut être tourné vers la personne. L’animateur facilite aussi le travail des comédiens en soulignant des éléments importants afin de relever le jeu des comédiens. Il faut reformuler pour préciser. On demande au participant si l’histoire concorde avec ce qu’il a vécu, d’où l’appellation « playback ». On recommence au besoin en accentuant sur ce que la personne a voulu spécifier. L’histoire se trouve donc renforcie. Le théâtre doit servir aux gens et ça prend des comédiens sensibles qui ont une grande capacité d’écoute.

LEG : Tu disais que le public est gelé, voire intrigué, par ce que vous offrez. Est-ce que c’est la même réaction de la part des intervenants de milieu ?

VC : Lorsqu’on offre le théâtre d’intervention comme solution à une problématique, il y a une sorte de peur que ça ne fonctionne pas, que les gens soient trop gênés pour parler. Mais ce n’est jamais arrivé. Sébastien dit : « Le théâtre, ça peut repousser certaines personnes. L’intervention aussi. Un vendredi soir, aller voir du théâtre d’intervention ne semble pas être du divertissement, mais ça l’est. » L’être humain est narcissique. Qui n’aime pas voir sa vie sur une scène ?

LEG : De quelles autres façons votre passion pour le théâtre et l’animation se manifeste-t-elle ?

VC : Côté-Vivand fait aussi du théâtre social. On peut se trouver à monter un sketch pour démontrer une problématique. Ce n’est pas toujours facile pour différents intervenants et organismes de voir comment ils peuvent s’aider. Ce que nous jouons permet alors de nourrir la conversation lors de tables rondes.

Nous faisons aussi du clown, mais pas celui aux ballons et aux maquillages. Nous démontrons l’absurde et la comédie dans les situations du quotidien. Le clown peut tout dire et dit oui à tout ce qu’on lui propose. C’est du clown social. Nous sommes dans la communauté, nous montrons le ridicule. Nous parlons aux gens, nous prenons le temps. Nous donnons des câlins parce que ça fait du bien. Ça apaise.

LEG : Ça me fait penser à Matthew Silver, un clown de rue new-yorkais qui se caractérise par son haut niveau de détachement.

VC : On voit peu de clowns de rue en Abitibi. Quand il y en a, ça fait un rayon de soleil dans notre journée. Je trouve ça touchant de voir une personne qui va faire un numéro pour trois personnes. Ça a plus d’impact que d’aller en salle. Le hasard du moment fait que tu as un spectacle pour toi. C’est un beau cadeau. C’est intimidant de jouer devant des gens qu’on connait. On peut se sentir jugé, car tout le monde connait tout le monde. Il faut persévérer. Il faut oser, sans nécessairement accepter tout ce qui passe en tant qu’artiste. \


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