Virginie Blanchette-Doucet, jeune auteure native de l’Abitibi-Témiscamingue, vient de publier son premier roman. Loin d’être passé inaperçu, il fut présenté à Radio-Canada auprès de Marie-Louise Arsenault à l’émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit, où l’auteure a lu un passage de cette chronique romanesque abitibienne que Le Devoir a quant à lui décrite comme étant un peu la chronique, largement impressionniste, d’un long deuil.
Attrapée au téléphone par un beau midi de septembre après un autre de ses allers-retours sur la 117 pour une fin de semaine de promotion, Virginie a pris quelques minutes de son temps précieux pour parler de son rêve d’écriture réalisé, et de l’histoire qu’elle portait en elle.
Virginie Blanchette-Doucet s’intéresse très tôt à la littérature, et c’est après une enfance et une adolescence abitibiennes qu’elle quitte la région. Le début de son collégial en danse et littérature marque son premier exil. C’est plus tard, au cours de la rédaction de son mémoire, que Maude et Francis naissent. Un mémoire qui parle de ce qu’elle connaît et « que peu de gens connaissent », me dira-t-elle.
Tout est allé très vite ensuite. Le temps d’une pause de 6 mois en Nouvelle-Zélande (encore soif d’exil ?), et tout s’est enchaîné. À peine quelques mois plus tard, 117 Nord était lancé à l’Île Noire, un pub tout près de l’UQAM à Montréal, alma mater de l’auteure, puis à la Bibliothèque municipale de Val-d’Or, devant un public conquis par son charisme et sa vivacité. Détentrice d’une maîtrise en création littéraire et enseignante en littérature au Cégep de Saint-Hyacinthe, la jeune auteure originaire de l’endroit a pu partager ses réflexions à propos de l’écriture de 117 Nord, un premier roman d’une qualité remarquable paru aux Éditions du Boréal. Cette rencontre m’a confortée dans l’idée qu’il est essentiel de créer ce contact entre un auteur et ses lecteurs, s’investir dans sa parole, ses mouvements, pour mieux apprivoiser ensuite ses mots. |
Car ce premier roman parfaitement maîtrisé de Virginie Blanchette-Doucet a besoin d’être apprivoisé. Quelque peu hermétique, difficile à saisir au premier abord, il demande au lecteur l’effort d’abandonner sa tendance instinctive à la linéarité. 117 Nord se déploie en de très courts chapitres qui ne suivent aucun ordre chronologique particulier. L’auteure a ainsi voulu évoquer le vagabondage de l’esprit qui se perd dans les souvenirs, sautant du coq à l’âne, au gré d’un long voyage en voiture, seul sur la route, en l’occurrence la 117 Nord, Montréal–Val-d’Or. Et c’est réussi (elle aurait très bien pu échouer).
Il faut en moyenne six heures de Montréal à l’entrée de Val-d’Or. Cinq cent vingt-neuf kilomètres. Sur la carte, les rivières et les lacs s’entrelacent dans la zone verte du parc de La Vérendrye. Il n’y a rien ou presque, que des arbres sur des kilomètres, à n’en plus finir.
Maude parcourt la 117 Nord dans sa petite Tercel pour rejoindre son Val-d’Or natal et son paysage minier. Ses pensées font des allers-retours entre sa vie à Montréal et ses souvenirs de Val-d’Or : son travail à la mine, mais surtout Francis, l’ami aimé, celui qui est resté.
Les garde-fous sont assez hauts pour que personne ne puisse se lancer dans le vide. Je voudrais que Francis ne soit pas au fond du trou, mais à côté de moi, pour qu’il me dise que lui aussi hait ce paysage organisé contre le ciel bleu. Il ne le dira pas. La journée est magnifique.
Cette phrase à elle seule résume l’esprit du roman. Un portrait impressionniste qui laisse toute la place aux non-dits et au mouvement des mots. Les gestes parlent pour les personnages, qui sont empêtrés dans leurs silences. Il y a dans ce roman une belle mélancolie, à laquelle se greffe Val-d’Or, la ville amante tantôt aimée, tantôt haïe ; la ville amante qu’on abandonne avant qu’elle ne dépossède entièrement ce qu’il reste de soi.
Virginie nous parle d’un monde d’hommes, par la bouche d’un personnage féminin entouré d’hommes, tous respectueux. L’auteure décrit le féminisme qui soutient le texte comme un « féminisme inclusif ». C’est un milieu traditionnellement masculin, mais, comme plusieurs femmes qui y travaillent le diront, inclusif et fait de silences et de travail soigné. La poésie n’est jamais loin lorsque Maude évoque son quotidien.
Nous mangeons dans la cuisine pendant que le soleil descend lentement, s’allonge sur le plancher comme il le faisait avant dans la maison qui n’existe plus. Nous ne disons rien, mais je pense que nous sommes bien et que nous le comprenons en même temps.
Ce n’est pas un hasard que 3 maisons d’édition aient approché Virginie pour la publier – elle représente sans contredit la relève littéraire du Québec par la qualité de son écriture en symbiose avec sa génération : hors cadre, créative et en continuelle impulsion.\