Êtes-vous nostalgiques ? Vos médias, eux, le sont ! La nostalgie est effectivement fort bien implantée dans le paysage médiatique qui nous entoure, et ce, pour le meilleur et pour le pire. En effet, les croyances politiques et culturelles ancrées dans la nostalgie peuvent sévèrement biaiser notre appréciation d’une situation donnée.
Mais avant tout, qu’est-ce que la nostalgie ? On associe généralement ce sentiment à l’idéalisation d’un passé lointain : l’innocence de l’enfance, la magie d’un premier baiser, l’insouciance de l’adolescence… Dans les faits, la nostalgie est légèrement plus complexe que la simple remémoration. Il s’agit d’une forme particulière de désir axé sur un passé conçu comme inatteignable. Susan Stewart, professeure de littérature à l’université de Princeton, a écrit un livre fort intéressant sur le sujet (On Longing, 1993) ; elle lie la nostalgie au désir en affirmant que le passé recherché par le nostalgique est toujours nécessairement un passé impossible. L’objet du désir est quelque chose de futile et de fuyant. De façon similaire, le nostalgique centre son désir sur une absence, puisque le passé qu’il idéalise n’a en fait jamais existé. Ainsi, il y a dans la nostalgie une forme de déni du présent au profit d’un passé conçu en rétrospective : j’entends ici que nous glorifions un passé donné, le déformant et le concevant de façon très différente de son déroulement actuel.
Ce mécanisme se manifeste à vous quotidiennement, notamment sur les réseaux sociaux. Chaque fois que vous voyez un mème critiquant notre époque en glorifiant le passé, vous assistez au fonctionnement même de la nostalgie; par exemple, ces mèmes qui montrent un passé où tout le monde se parle et est heureux, pour ensuite montrer le présent comme une sombre dystopie où les écrans nous empêchent d’établir de véritables liens sociaux. Il y a aussi ces innombrables articles critiquant la jeunesse d’aujourd’hui, affirmant combien c’était mieux « dans le bon vieux temps ». Le problème avec ces discours, c’est qu’ils laissent volontairement de côté des facettes beaucoup moins glorieuses du passé. Avant les iPad et autres consoles de jeu, certains enfants passaient un nombre d’heures grotesque devant la télévision. Ce n’est donc pas les tablettes qui posent problème, mais la négligence de certains parents. Et cette négligence n’est pas du tout exclusive à notre époque technologique. Il en va de même pour les rapports entre les générations, que certains semblent trouver lamentables de nos jours. Quatre siècles avant notre ère, Socrate écrivait : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge. À notre époque, les enfants sont des tyrans. » Se pourrait-il que les adultes conçoivent leur propre enfance à travers la lunette déformante de la nostalgie ?
Par ailleurs, l’immersion de la logique nostalgique dans la sphère politique et médiatique va au-delà de ces quelques exemples anodins. Prenons pour exemple la campagne de Donald Trump à l’investiture du parti républicain et, désormais, à la présidence américaine. Son slogan, « Make America great again », carbure à la nostalgie. En effet, si on se permet de déconstruire ce slogan à travers une compréhension de la nostalgie, on pourrait se demander quand, au juste, l’Amérique a été si glorieuse. À l’époque de sa colonisation ? Durant les conflits entourant l’esclavage ? Pendant les différentes vagues d’industrialisation et d’immigration ? Après la Deuxième Guerre mondiale ? À l’époque du fanatisme maccarthyste ? Chacune de ces époques comprenait son lot de violence et de problématiques sociales graves. Loin de moi l’idée d’insinuer que l’Amérique est répréhensible ; je crois par ailleurs qu’il faut porter une attention particulière aux dangers de la glorification aveugle du passé. Car une telle glorification se fait toujours, nécessairement, au détriment des faits et de la réalité. \