C’était la fin des années 90. Étrange période… Pour une seconde fois, on disait non à un pays, Dédé Fortin s’enlevait la vie, le film Blair Witch Project secouait l’industrie du cinéma et le téléphone était un objet qui ne tenait qu’à un fil... À cette époque, il ne se produisait pas plus d’une dizaine de films par année au Québec. Et dans ma perception des choses, la réalisation d’un film était réservée à de vrais cinéastes tels Denys Arcand, Pierre Falardeau et autres Léa Pool. Mais surtout, le cinéma québécois était exclusivement produit à Montréal. Dans la région, l’unique manifestation cinématographique était le Festival de cinéma international. Ça relevait donc de l’utopie que d’envisager voir son propre film conçu, tourné, monté ou projeté dans un cadre professionnel… et dans la région!
Mais le nouveau millénaire annonçait des temps nouveaux! Sous l’impulsion du Conseil de développement régional en A-T (CRDAT), du Conseil de la culture et du CALQ, on a annoncé la création du Fonds dédié aux Arts et aux lettres en Abitibi-Témiscamingue! Cette annonce allait changer ma vie et celle de plusieurs autres artistes de la région. Il devenait envisageable de pratiquer notre art sur une base professionnelle et dans des conditions respectables. À partir de ce moment, l’Abitibi-Témiscamingue allait être peinte, sculptée, chantée, contée, écrite, jouée et filmée tout à la fois… et comme jamais elle ne l’avait été auparavant!
Pour ma part, c’était l’occasion rêvée pour tourner mon premier film,Bric-à-Brac. Peu de temps après, quelques autres eurent également la chance de tourner leur film par l’entremise du fonds dédié. Je pense entre autres à Martin Noël, Sylvain Marcotte, France Gaudreault, Cédric Corbeil, Carol Courchesne, Dominic Leclerc et Béatriz Mediavilla, pour ne nommer que ceux-là, qui ont fait rayonner la région à travers leurs images.
Ce coup de tonnerre dans le ciel cinématographique de la région résonne encore. C’est comme si les films produits ici allaient dorénavant nous faire exister selon notre propre regard et non par celui des autres. On allait montrer comment on parle, comment on chante, comment on raconte notre passé et même comment on marche! Il devenait possible de se voir vivre à l’écran, de se reconnaître. On existait. Selon moi, l’appartenance ne s’apprend pas : elle s’expérimente. Notre cinéma est donc un moyen parmi d’autres de cultiver ce sentiment d’appartenance qui se caractérise collectivement par ce que l’on qualifie « d’effervescence culturelle » depuis une quinzaine d’années.
La création du fonds dédié marqua le début du présent millénaire et allait être le trait d’union qui remplirait le vide cinématographique qui sévissait depuis le début des années 80. Ce fil qui allait nous rattacher aux André Blanchard, Robert Monderie et Richard Desjardins qui ont fait vivre notre cinéma dans les années 70. La raison d’être du Fonds est actuellement remise en question par le gouvernement en place. Il serait déplorable de couper le fil sans rien dire… \