Après dix ans de saccage conservateur, nombreux sont ceux qui se réjouissent de l’éviction de Stephen Harper. Peu importe l’allégeance, c’est près de 70 % des électeurs qui ont voté pour le changement, même si pour certains il est doux-amer. Le scandale des commandites est encore récent, et le Parti libéral ne s’est pas encore débarrassé de ses vieux apparatchiks : la fin de campagne nous l’aura rappelé. Certains fulminent à la simple évocation du nom Trudeau, qui rappelle le Père et des souvenirs d’octobre 1970 ou de la Nuit des longs couteaux. Ce serait toutefois malvenu de clouer Trudeau fils au pilori avant même qu’il n’ait amorcé son mandat. Justin Trudeau, qu’on l’aime ou non, a mené une campagne électorale positive impeccable et s’est tenu loin de la politique de la division des conservateurs et bloquistes. Par ailleurs, même s’il s’agit d’une opération charme, il y a quand même quelque chose de rafraîchissant à voir un premier ministre prendre un bain de foule dans le métro de Montréal au grand dam de ses gardes du corps : on sait maintenant au moins qu’on a bel et bien un être humain à la tête du gouvernement. C’est déjà un gain significatif.

En s’intéressant à la plateforme électorale du PLC, on se surprend à rêver que c’est effectivement la fin d’une période de grande noirceur, même si un optimisme prudent est de mise. D’abord, le Canada reviendra probablement à son rôle de joueur respecté sur la scène internationale, mettra fin à son attitude belliqueuse lors des négociations climatiques ou envers la Palestine et on devrait assister à la réémergence d’une politique étrangère axée sur la diplomatie, la nuance et surtout plus indépendante d’Israël et des États-Unis. Bien que le PLC ait soutenu le projet de loi liberticide C-51 (loi antiterrorisme), il s’est toutefois engagé à l’amender très rapidement afin d’en éliminer les dérives. Trudeau a également promis la parité hommes-femmes au sein de son cabinet, l’encadrement des projets de loi omnibus, l’assouplissement de la ligne de parti ainsi que la fin du musèlement des scientifiques employés par l’État. Enfin, l’engagement du nouveau premier ministre de réformer le mode de scrutin afin de permettre une réelle représentativité des électeurs. Naïf, me direz-vous? Je préfère laisser la chance au coureur. Cet homme a des choses à prouver, et il tient à laisser un héritage politique important.

  

En culture, le nouveau gouvernement promet l’annulation des compressions conservatrices et une bonification de 35 M$/an pour CBC/Radio-Canada. Le budget annuel du Conseil des arts du Canada devrait doubler, de 180 à 360 M$/an, et Téléfilm Canada et l’ONF devraient également voir leur budget être bonifié de 25 M$/an. Pour la diffusion culturelle à l’étranger, on compte investir 25 M$/an pour rétablir les anciens programmes Promart et Routes commerciales, abolis en 2008 par les conservateurs. Il y a de quoi se réjouir si ces engagements se matérialisent. Si.

  

La question autochtone

 

Plusieurs circonscriptions à forte représentation autochtone sont passées au rouge le 19 octobre, témoignant d’un ras-le-bol envers le mépris des conservateurs, mais également d’un intérêt face aux promesses du PLC. D’abord, on doit s’attendre à la mise sur pied très rapide d’une commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, alors qu’éclate actuellement un scandale à la Sûreté du Québec, suivant le reportage d’Enquête sur de multiples abus sexuels et autres écarts de conduite qui auraient été commis par huit policiers de la SQ envers des femmes autochtones de Val-d’Or. Au-delà du dégoût et de la rage que le reportage suscite, en plus de l’admiration pour ce collectif de femmes qui ont courageusement brisé le silence, plusieurs questions émergent de cette situation. D’abord, si la police n’est pas en mesure de protéger ces femmes, qui le fera? Par ailleurs, est-ce fou d’imaginer que le cas de Val-d’Or n’est peut-être que la pointe de l’iceberg, exposé par six mois d’enquête journalistique? Et si Harper avait refusé une commission d’enquête parce qu’il se doutait très bien de ce dans quoi il s’embarquait? Qu’on se comprenne bien, on nage ici en pleine spéculation, mais est-ce que Justin Trudeau aura le courage politique de s’attaquer à cet enjeu extrêmement important, mais au potentiel si explosif en début de mandat?

  

En matière d’engagements à long terme, le PLC a promis 2,6 milliards $ d’investissement sur quatre ans pour l’éducation des Premières Nations afin de rattraper le retard par rapport aux allochtones. En effet, si les communautés autochtones veulent améliorer leurs conditions de vie dans une perspective à long terme, nul doute que cela passe par une éducation de qualité, adaptée à leurs réalités et à leurs besoins propres. Cependant, l’investissement est la partie facile. Trudeau devra gérer un difficile jeu d’équilibrisme s’il aspire à une véritable relation renouvelée avec les Premières Nations : mettre fin à des décennies de paternalisme en démontrant une écoute sincère, d’égal à égal, de façon à reconnaître et développer avec les communautés autochtones des modèles d’autonomie politique qui puissent les satisfaire, tout en rassurant les acteurs provinciaux, municipaux et économiques qui sont inquiets des revendications territoriales autochtones et de leurs impacts sur l’accès au territoire et à ses ressources naturelles. Tout un défi en perspective!

 

Souverainistes, fédéralistes, je-m’en-foutistes, donnons une chance aux libéraux, mais exigeons des résultats. Il serait difficile de faire pire que les conservateurs, mais espérons tout de même que Trudeau 2.0 ne s’avère pas au final qu’une simple opération de marketing. \


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