Le Centre d’exposition de Rouyn-Noranda (CERN) organise dans ses locaux, les 19 et 20 septembre prochain, un colloque autour du thème Parole des premiers peuples : création orale et littérature. Cette manifestation s’inscrit dans la même veine que Dialogue II, la dernière exposition réalisée par le CERN au printemps dernier, dans le but de jeter des ponts entre les Autochtones et les non-Autochtones. On remarquera d’emblée la parenté sémantique entre les deux titres. Dialogue II annonçait une relation dialectique, il invitait à un échange dynamique entre Autochtones et non-Autochtones. Parole des premiers peuples incite, quant à lui, à écouter le bruissement des mots à l’ombre tutélaire de ceux qui ont été les premiers à prendre racine sur ce coin de terre. Cependant, il ne faut pas comprendre que le colloque ne se situe pas dans une perspective d’échange. Loin de là. Car la littérature possède cette vertu paradoxale qui permet de parler à la fois tout seul et avec les autres. C’est que c’est une parole double, une parole ubiquitaire. D’abord, il y a la parole de l’écrivain qui dit le monde. Ensuite, il y a la réappropriation de cette même parole individuelle par le lecteur qui échange, indirectement, avec l’écrivain, pour lui donner une nouvelle perspective et la compléter. Par ailleurs, le thème de ce colloque actualise le lien indubitable entre oralité et littérature.
Ce rappel est d’autant plus important quand on sait que la littérature des premiers peuples n’a pas toujours eu la voix au chapitre. Bien qu’ils aient découvert l’écriture dès l’arrivée des Européens, il leur aura fallu attendre la deuxième moitié du 20e siècle pour réussir à lever leur voix dans le concert du monde. À se frayer une place dans la littérature. Bien entendu, je ne parle pas ici de cette littérature dans laquelle l’Amérindien fait figure de thème. D’objet. De poncif. Cette littérature dans laquelle il est vu, regardé, épié, pour finir par incarner le mythe du « bon sauvage ». Cette littérature à la James F. Cooper où pullulent de nobles Peaux-Rouges. Non, je pense plutôt à un corpus littéraire dont il est le concepteur, le créateur, l’acteur principal. Le patrimoine oral représente un terreau fertile pour la production de ce corpus littéraire. Et les auteurs de celui-ci se sont approprié l’écriture non sans un rapport particulier avec la langue. Car cette langue qui leur permet de se dire et d’assurer le rayonnement de leur littérature est héritière du rapport colonialiste instauré entre les premiers peuples et les Européens. Une langue, n’est-ce pas avant tout l’expression des rapports d’un peuple, d’un groupe, d’un individu au monde? Pour ces écrivains-là, il s’agit de dire le monde avec une langue (anglais, français) qui ne traduit pas nécessairement leur vision du monde. Cela explique sans doute ce lien implacable entre l’oral et l’écrit dans la littérature des Premiers Peuples.
Cette jeune littérature mérite d’être diffusée non seulement pour ses orientations thématiques mais aussi pour sa facture esthétique. Elle articule une parole qui peut se lire avant tout comme une transcendance. Transcendance du confinement territorial qui, aujourd’hui encore, caractérise la condition sociale et le rapport au monde de beaucoup d’Autochtones. Car ce confinement territorial est une tentative de dépouillement et de dépossession qui a créé une crise identitaire chez les Premiers Peuples. En cela, c’est une parole affranchie du carcan de l’assimilation, donc de la disparition. Une parole qui se veut libre et libératrice. Libre de l’enfermement dans un passé séculaire et inexorable. Libératrice des catégories imaginaires préétablies qui faussent les rapports sociaux entre les Autochtones et les non-Autochtones. Cette parole mérite d’être écoutée afin qu’elle acquière une totale légitimation littéraire. Pour ce faire, il faudrait, entre autres, la création de prix, le développement d’un lectorat, l’inscription des œuvres aux programmes scolaires, d’autres activités promotionnelles et vulgarisatrices. Le colloque du CERN vient en cela rappeler une étape essentielle dans ce processus de légitimation et porter un regard intéressant sur la littérature des Premiers Peuples : elle est aujourd’hui un champ d’investigation, un objet de recherche. Les activités prévues dans son déroulement mettent en valeur non seulement cet aspect, mais aussi elles révèlent la grande diversité des chercheurs qui s’y intéressent. Ce colloque invite à écouter la parole des Premiers Peuples, à instituer un dialogue durable avec les auteurs et à donner de la voix à leur parole. \